#hôpitaldufutur : Sandrine Thullier, Alain Benini, pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre rôle aux Hospices Civils de Lyon ?
Je suis Sandrine Thullier, directrice adjointe à la Direction des Affaires Techniques (DAT) des Hospices Civils de Lyon. Les Hospices Civils de Lyon, c’est 920.000 m2 de surfaces bâties, 13 hôpitaux. La Direction des Affaires Techniques est en charge de la construction, de la rénovation, de la modernisation de ces surfaces, de leur maintenance et leur exploitation. Elle regroupe un peu moins de 400 agents, de l’architecte ingénieur à l’ouvrier sur les sites.
Je suis Alain Benini, architecte de formation, je suis responsable du département « Architecture et maîtrise d’œuvre » au sein de la Direction des Affaires Techniques des Hospices Civils de Lyon, avec deux missions principales, il y a une partie maîtrise d’œuvre, nous sommes une équipe d’une vingtaine d’architectes, ingénieurs et techniciens, et nous réalisons un certain nombre d’opérations de rénovation, construction dans le domaine des hospices civils de Lyon ; et puis, une autre partie de notre mission, nous réalisons des études de faisabilités en amont des décisions d’inscription au PGFP ou des décisions de la Direction Générale. A ce titre-là, j’accompagne Sandrine sur la partie réalisation des schémas directeurs.
Les évènements du Covid et le Ségur de la santé qui ont donné effectivement un éclairage complémentaire et ont redonné de l’importance aux schémas directeurs par le biais des ARS et les missions CNIS.
#hôpitaldufutur : Le Ségur de la Santé a souligné récemment le rôle des schémas directeurs, et en a fait un point décisif pour la structuration des projets et l’obtention des budgets. Vous qui avez mené plusieurs schémas directeurs aux H.C.L, quel est votre retour d’expérience sur la pertinence de ce processus ?
Alain Benini : Les schémas directeurs existaient en amont du Ségur ! On fait des schémas directeurs depuis pas mal d’années, et nous avions lancé une nouvelle étude de schémas directeurs sur le site hospitalier, basée sur d’anciens schémas directeurs qui nécessitaient une mise à jour ou une refonte complète. Là-dessus, on a eu les évènements du Covid et le Ségur de la santé qui ont donné effectivement un éclairage complémentaire et ont redonné de l’importance aux schémas directeurs par le biais des ARS et les missions CNIS, qui dans le cadre d’examen d’un financement potentiel Ségur, nécessitent dans une 1ère phase une cohérence avec un schéma directeur du site hospitalier. Il y a donc effectivement un écho assez fort sur ces schémas en ce moment.
Sandrine Thullier : Ce qu’on peut dire aussi, c’est que sans cette obligation ou cette orientation forte qui a été donnée, le schéma directeur permet à un hôpital ou à un site de réfléchir à son avenir à 10 – 15 ans, ce qui n’est pas l’échelle habituelle de réflexion. On a tendance à avoir une demande, et de devoir très vite se sortir un projet, donc cette réflexion est intéressante et prospective. Elle permet d’avoir une vision ou une cible future pour l’hôpital, d’ordonner les opérations qui vont intervenir, et aussi, quand une opération nouvelle et non prévue arrive, elle permet de savoir quelles sont les potentialités, quelles sont les conséquences, les facilités ou les difficultés d’intégration de cette opération de l’évolution de l’hôpital. Ça nous semble être un outil intéressant sans avoir l’orientation réglementaire.
Alain Benini : D’autant plus que nos sites hospitaliers sont relativement contraints parce qu’on veut rester dans un environnement de quartier urbain, et notamment, le prix du m2 de terrain est ce qu’il est… Les possibilités d’extensions sont un peu réduites, d’où l’intérêt en termes d’immobilier, de pouvoir mesurer les potentialités d’évolution sur une durée suffisamment lointaine.
Le schéma directeur permet à un hôpital ou à un site de réfléchir à son avenir à 10 – 15 ans, et permet d’avoir une vision future pour l’hôpital, d’ordonner les opérations qui vont intervenir, et aussi, quand une opération nouvelle et non prévue arrive, de savoir quelles sont les potentialités, les conséquences, les facilités ou les difficultés d’intégration de cette opération.
#hôpitaldufutur : Vous décomposez les schémas directeurs immobilier en plusieurs phases, peut-on les lister, les résumer ?
Alain Benini : En préambule, on va insister sur le fait que c’est une proposition de méthode qui a été enrichie par l’expérience des quelques schémas sur lesquels on a déjà abouti, mais en aucune manière c’est une méthode à imposer, on partage simplement notre expérience, qui propose plusieurs étapes pour arriver à aboutir à un schéma directeur.
Sandrine Thullier : Sur nos schémas, on en a 3 qui sont réalisés et 2 sont en cours, on a procédé en 4 étapes. Au travers de ces expériences, on a constaté qu’il y a des préalables qui sont indispensables avant de se lancer dans la rédaction d’un cahier des charges pour consulter des prestataires pour faire le schéma directeur. Je vais commencer par ces préalables. Le 1er, c’est que ce n’est pas une étude qui est portée par la Direction des Affaires Techniques, mais par la Direction Générale et par les directions de site. On les accompagne. C’est porté, coconstruit, partagé avec le président de la CME locale, avec l’ensemble des professionnels et bien sûr avec les médecins et les soignants. Il y a vraiment une réflexion d’ensemble et de construction du projet à avoir sur la façon dont il va être structuré : savoir si on veut communiquer beaucoup ou non, faire des groupes de travails plus restreints ou au contraire des grands séminaires avec 150 ou 200 personnes, c’est une réflexion amont qui doit permettre d’orienter la méthodologie. Un autre point important, c’est la nécessité de mûrir ce schéma directeur immobilier. Il nous semble, de notre expérience, qu’il n’est pas possible de faire un schéma directeur immobilier en quelques semaines sur un site relativement important, d’à peu près 1000 lits. Il faut environ une année pour étudier, il faut ce temps d’étude, de partage, de travail et du temps pour murir les orientations, les questions, etc… Il y a un point à prévoir assez tôt, c’est comment seront associées ou informées les collectivités, et c’est là vraiment de la stratégie de la direction. Il y a aussi une réflexion à avoir sur les compétences attendues des prestataires à qui on va confier cette étude. Elle est à adapter selon les spécificités des sites. Les compétences qu’on a recherchées sont : architectes, programmistes, conseil en stratégie médicale, bureaux d’étude tout corps d’état, et selon les sites, on peut avoir des spécificités, comme un architecte du patrimoine, un paysagiste… A ajuster selon les problématiques qu’on connait sur le site. Des choses peuvent paraitre évidentes mais ne sont finalement pas si simples : le périmètre géographique ! Bien connaitre les limites de son site. On se rend compte que ce n’est pas si simple avec le cadastre, si ce sont des acquisitions anciennes, il sera nécessaire de refaire un point. Le périmètre médical, qui ne sera pas forcément le même, si on imagine ramener des nouvelles activités, il faut commencer à les esquisser dans le cahier des charges, car le prestataire doit aussi, lorsqu’il fera son offre, apprécier l’ampleur des études. Enfin, il faut assez tôt réfléchir aux invariants du site : qu’est-ce qu’on fait des projets récents, des projets engagés. Si ce sont des sujets invariants, on le met sur la table rapidement. Un autre point, c’est le projet médical, mais Alain va poursuivre.
Alain Benini : En préalable, il faut savoir qu’à l’hôpital, on ne fait pas de travaux pour faire des travaux, on les fait pour apporter une réponse à une évolution médicale, qui peut être sur les pratiques, ou sur le confort du personnel ou des usagers. La connaissance du projet médical est indispensable, et fait partie du préambule et de la 1ère phase de l’opération. Si je rentre dans cette 1ère phase, qu’on a appelé « programmation médicale », il y a 2 cas de figure : soit il y a un programme médical qui existe, qui est récent, qui a mobilisé le corps médical qui s’est déjà positionné sur les ambitions, les évolutions de différentes pratiques, sur le regroupement de certaines actions, sur la façon dont ils envisagent leur hôpital dans les années à venir ; soit ça n’existe pas, et à notre sens il n’est alors pas possible de démarrer un schéma directeur sans passer par cette phase absolument incontournable. Comme je l’ai dit précédemment, on fait bien des travaux pour répondre à des attentes dictées par la partie médicale de nos actions.
Dans cette phase de programmation médicale, il nous semble intéressant d’apporter un œil complétement neuf et de conduire à ce qu’on appelle un rapport d’étonnement sur cette programmation médicale. Ce rapport d’étonnement peut être assez large, il devrait aboutir à conforter les orientations du projet médical. En tout cas, s’il y a des faiblesses dans le projet médical, il est temps au démarrage du schéma directeur de s’en occuper et d’y apporter des réponses. En parallèle de ce projet médical, c’est connaitre les besoins, mais aussi son patrimoine. Donc pour nous, la phase 1 comprend la mise en œuvre de tout ce qui permet de connaître le bâtiment. Donc c’est à la fois dessiner, quantifier et qualifier.
Sandrine Thullier : On a ensuite une phase qu’on peut mener en parallèle, une phase de diagnostic du site, sur tous ses angles : regroupement des documents existants, de constitution d’un fond graphique, et selon les établissements on peut l’avoir déjà ou être obligé de le reconstituer. Il est important en tout cas d’avoir des éléments et des documents sur lesquels les réflexions vont pouvoir s’appuyer, pour le travail qui suit, de scénario.
Alain Benini : La phase 2 est donc celle des 1ers scénarios, la rencontre entre les ambitions médicales et les possibilités du site. On défend l’idée que les scénarios doivent être un peu détaillés, souvent très détaillés, car sur du bâtiment existant, on ne se contenter d’une approche de surfaces, de colorimétries, en disant, les surfaces correspondent donc on va pouvoir positionner telle et telle activité de telle et telle façon, en réponse aux différents flux et à l’organisation du site. On défend l’idée qu’il faut aller dans le détail, qui nous permet de s’assurer de tel ou tel scénario puisse être une réalité. Ensuite, on prend du recul et effectivement on ignore le détail, mais il est absolument crucial de sécuriser l’ensemble des scénarios de cette façon-là, a minima. Ce qui est sûr, et on aurait pu le dire depuis le départ : la difficulté, c’est de ne pas vendre du rêve, de ne pas vendre des orientations qui à un moment ne seront pas réalisables, sur les plans à la fois financier, technique, patrimonial… Il faut bien être conscient qu’à chaque étape, il doit être sûrs qu’on ait au moins une solution. Même si pour un schéma directeur on est à une échelle très grande, il faut descendre dans le détail pour être sûr qu’on ait au moins une solution. Ensuite, on reprend du recul, parce qu’on n’est pas là pour faire des projets d’architecture. Mais il faut être sûrs et le garantir, il y a une réponse technique, architecturale et financière dans les orientations qu’on privilégie.
Sandrine Thullier : Ensuite, comment arrive-t-on à dégager le scénario retenu ? Dans les expériences qu’on a eues, les portes se sont peu à peu refermées et finalement, il n’y a pas eu de scénarios très différents, plutôt des options sur 1 ou 2 scénarii. Parfois, il y avait des dilemmes qui n’avait pas été solutionnés en termes de programmation médicale.
Après on passe à une phase de consolidation du scénario retenu, c’est une phase qui devient pré-opérationnelle, puisqu’il s’agit de décliner les orientations en opérations, de voir les coûts, les enchainements et donc les délais. Car si on est en schémas directeurs, c’est en général qu’on est en réhabilitation, et pour faire une opération, il faut en faire d’autres auparavant. D’où l’importance de ce que rappelait Alain précédemment, ne pas avoir vendu du rêve, car lorsqu’on aligne les chiffres et les mois, on se rend compte qu’on n’arrive pas à faire la totalité de toutes les idées et opérations qui ont été imaginées. Ensuite, il faut le programmer dans le plan global pluriannuel de financement. Et enfin, on pense, on l’a vu, que c’est important d’avoir des opérations qui démarrent très rapidement. Pas forcément l’opération la plus emblématique du schéma directeur, mais en tout cas que toute cette dynamique apportée sur le site soit visible. On aboutit là à une finalisation du schéma directeur. Alors je dis une finalisation, mais en même temps, et avec tout ce qu’on a dit depuis tout à l’heure, on est bien conscient que c’est une réflexion à un moment donné. On est tout à fait conscient que les évolutions médicales vont très vite, que le schéma directeur pas encore terminé, on peut déjà avoir des opérations ou des demandes nouvelles qui arrivent. Donc le schéma directeur doit garder une souplesse, et finalement sert plus de cadre et d’orientations avec des choses très bloquées et d’autres possibilités, où on a dégagé des réserves foncières, des espaces sur lesquels on peut travailler, où des projets non connus à ce jour pourront venir s’intercaler.
On a constaté qu’il y a des préalables qui sont indispensables avant de se lancer dans la rédaction d’un cahier des charges. Le 1er, c’est que ce n’est pas une étude qui est portée par la Direction des Affaires Techniques, mais par la Direction Générale et par les directions de site. La connaissance du projet médical est aussi indispensable, et fait partie du préambule et de la 1ère phase de l’opération.
On défend l’idée qu’il faut aller dans le détail, qui nous permet de s’assurer de tel ou tel scénario puisse être une réalité. Ensuite, on prend du recul et effectivement on ignore le détail, mais il est absolument crucial de sécuriser l’ensemble des scénarios de cette façon-là, a minima.
#hôpitaldufutur : Chaque opération vient ainsi évaluer et mettre à jour le schéma directeur ?
Sandrine Thullier : Ce qui est certain, c’est quand une nouvelle opération arrive, on sort un schéma directeur pour regarder ce qu’on a prévu. Le schéma directeur aide à l’évaluation des possibilités pour l’opération et aussi à l’évaluation de ses conséquences, car finalement si on a dans le schéma directeur plusieurs opérations importantes, emblématiques, indispensables, il ne faut pas qu’on vienne les remettre en cause. Enfin, si, c’est possible, mais en connaissance de cause, il ne faut pas qu’on implante quelque chose à un endroit qui viendrait bloquer un autre projet qu’on avait imaginé. Il y a donc toujours un aller – retour entre les opérations et les schémas directeurs.
Alain Benini : On prend beaucoup de recul, on définira plutôt un zonage au niveau du plan masse sur des types d’activités chaudes ou froides et des réorganisations qui font que c’est suffisamment souple pour pouvoir s’adapter si jamais il y a des évolutions imprévues ou soudaines, mais dans la logique défendue par l’organisation générale.
Le schéma directeur aide à l’évaluation des possibilités pour l’opération et aussi à l’évaluation de ses conséquences. Il y a donc toujours un aller – retour entre les opérations et les schémas directeurs.
#hôpitaldufutur : Les enjeux durables réinterrogent les schémas directeurs, de quelles façons ?
Sandrine Thullier : Toutes les questions d’environnement, d’aménagement du site, d’aménagement paysager notamment auquel les soignants et les usagers sont de plus en plus sensibles. Il y a effectivement les questions de conservation du bâtiment, en tout cas ne pas « jeter » trop facilement les bâtiments, même si parfois on n’a pas d’autre choix. Sur les aspects durables on a évidemment, c’est l’actualité, les questions énergétiques. Tout ce qui est « qualité de vie au travail » a aussi pris beaucoup d’ampleur. C’était déjà intégré dans les projets quand on faisait l’état des besoins, mais maintenant c’est vraiment mis en avant, avec des espaces de repos, voire des activités physiques pour les soignants, et puis plus largement toutes les problématiques RSE qui sont développées et affichées à tous les échelons, à tous les niveaux dans l’hôpital.
Alain Benini : On a un bâtiment des années 60, une grande barre qui fait l’objet de réflexions sur son devenir, qui présente des surfaces qui sont suffisamment en rapport avec des unités de soins et de consultations, donc globalement la surface proposée est correcte mais l’enveloppe n’est pas du tout aux normes de ce qu’on pourrait attendre en termes d’isolation thermique. Dans le chiffrage, on va inclure tout de suite le fait que si on a une intervention sur ce bâtiment, on n’échappera pas à repenser les façades de façon globale, à l’échelle du bâtiment. Peut-être qu’aujourd’hui, on a un peu plus de facilités pour les faire passer en termes de financements, parce que l’actualité fait un zoom là-dessus. Autrefois, on avait bien ces préoccupations-là, de techniciens et d’économies d’énergie, qui étaient peut-être plus difficiles à faire passer.
Sandrine Thullier : Je pense que jusqu’à encore peu de temps, on raisonnait pas mal en retour sur investissement avec la vision financière et euros, et de plus en plus, la question environnementale, le gain environnemental, qui pour notre part n’est pas encore bien chiffré, mais en tout cas on est capable de décrire un certain nombre des effets et des gains environnementaux, vont entrer en ligne de compte dans les décisions. Ainsi, des options qu’on n’a pas pu prendre sur des projets anciens, parce que financièrement on ne savait pas les défendre, je pense qu’aujourd’hui, on a plus d’arguments et on sera plus écoutés surtout.
Alain Benini : Et le schéma directeur, on l’a dit tout à l’heure, a ce périmètre de réflexion. Les acteurs qui accompagnent cette réflexion sont aussi ceux qui font la ville. On pense par exemple aux chauffages urbains, qui sont des sources très positives dans le cadre des dépenses énergétiques. Là aussi, il y a un dialogue qui s’instaure, et qui est absolument nécessaire. L’hôpital a longtemps, en tout cas en ce qui concerne les HCL, été considéré comme une enceinte très fermée et très indépendante du reste : c’est historique, et en temps de guerre, effectivement, l’hôpital doit vivre tout seul. Aujourd’hui, on sent bien que les frontières sont très ouvertes, et on est très à l’écoute de ce qu’il se passe à l’extérieur, dans les quartiers. Les interactions ville-hôpital ont, en 10-15 ans, nettement évolué. On a des transports en commun qui passent à l’intérieur d’une cité hospitalière, ce qui était inenvisageable quelques années en arrière, le service à la population augmente. Ces réflexions sont à prendre en compte dans le cadre du schéma directeur. Et il n’y a pas que le chauffage, il y a la production de froid généralisé. Un hôpital a du mal à se séparer du froid, on a besoin de froid dans les plateaux techniques, on ne ferait pas de salles d’opérations sans avoir des productions de froid. Mais il y a des centrales de productions de froid qui naissent, je ne sais pas comment ça va évoluer, mais en tout cas à Lyon, il y a des approches qui sont faites, et nous on est très intéressés pour se connecter à ces installations-là. Le schéma directeur propre au site, c’est donc un petit PLU à l’échelle de l’hôpital, mais il coexiste avec tout ce qu’il y a autour, de plus en plus présent, qui a envie de donner son avis et d’être acteur de l’évolution de l’hôpital. Et ça, c’est quelque chose qui s’est accentué depuis le Covid.
L’hôpital a longtemps, en tout cas en ce qui concerne les HCL, été considéré comme une enceinte très fermée et très indépendante du reste : c’est historique, et en temps de guerre, effectivement, l’hôpital doit vivre tout seul. Aujourd’hui, on sent bien que les frontières sont très ouvertes, et on est très à l’écoute de ce qu’il se passe à l’extérieur, dans les quartiers. Les interactions ville-hôpital ont, en 10-15 ans, nettement évolué.
#hôpitaldufutur : Quels échanges avez-vous avec la ville, avec les riverains ?
Alain Benini : On est là pour soigner la population, mais pour le faire, on s’implante à un endroit le moins éloigné possible, donc le plus en centre-ville. Et forcément, on est source de nuisances, et c’est compliqué de faire comprendre ça à la population. Quand un hélicoptère veut arriver sur la plateforme de l’établissement… Ils sont comptés nos hélicoptères ! Si on a déclaré qu’il y avait 150 départs et arrivées, à la 151ème on a un nombre de mails pas possible pour dire qu’on a dépassé ce qui était prévu, et ça devient compliqué.
Sandrine Thullier : L’environnement se complexifie, et on ne peut pas, ou on ne peut plus, vivre seuls. Il y a vraiment de notre part, un besoin, et puis de toute façon il y a une demande de la ville, des riverains, de savoir ce qu’il se passe sur les sites. Aux Journées du Patrimoine par exemple, on a de plus en plus de visites dans les sites. Ces derniers jours, on a vu un hôpital qui a ouvert ses blocs opératoires : il y a eu des visites avec des simulations d’opérations sur des mannequins. Il y a une volonté de l’hôpital de communiquer sur ce qui est fait, à la fois la technicité, l’humain et aussi sur la prise en compte environnementale.
Alain Benini : Ne soyons pas uniquement ceux qui gênent, soyons ceux qui soignent. Pour le quartier et les établissements de centre-ville, on a aussi des poumons verts, qui peuvent être mis à la disposition du quartier. Globalement, nos sites ne sont pas entièrement bétonnés. On travaille aussi sur l’identification de zones qui sont pour le bien-être du personnel, des patients. C’est important l’entourage de verdure de nos établissements construits, qui sont aussi des poumons de verdure pour le quartier, et on n’est plus contre le fait que les quartiers viennent dans l’établissement, pour profiter des extérieurs.
Sandrine Thullier : Donc ça c’est évident aujourd’hui, mais pour autant, les préoccupations de sécurité n’ont pas été abandonnées, voire ont plutôt été accrues, donc forcément, il faut à la fois ouvrir l’hôpital et avoir la capacité de le refermer, pour une urgence, un attentat, une crise majeure.
L’environnement se complexifie, et on ne peut pas, ou on ne peut plus, vivre seuls. Il y a vraiment de notre part, un besoin, et puis de toute façon il y a une demande de la ville, des riverains, de savoir ce qu’il se passe sur les sites.
Pour le quartier et les établissements de centre-ville, on a aussi des poumons verts, qui peuvent être mis à la disposition du quartier. Pour autant, les préoccupations de sécurité n’ont pas été abandonnées, voire ont plutôt été accrues, donc forcément, il faut à la fois ouvrir l’hôpital et avoir la capacité de le refermer.
#hôpitaldufutur : Le dialogue se fait avec la communauté médicale et soignante, et avec les professionnels au sens large. Pouvez-vous revenir sur vos expériences du Lean design ? Est-ce une méthode pertinente ?
Sandrine Thullier : La méthode qui a été retenue pour animer l’étude de schéma directeur est le Lean Design. C’est vraiment une méthode de co-construction avec l’ensemble des professionnels et la direction, qui a associé au global 150 à 250 professionnels, eux-mêmes devant interroger leur équipe pour remonter leurs avis, avec un travail de recueil d’informations et de remontée des avis assez large, assez complet. Ces méthodes de travail qui soit peuvent être souhaitées par l’hôpital, soit proposées par des prestataires, pour associer des personnes sur des groupes thématiques, des groupes interdisciplinaires, logistiques… Tout se réfléchit avec la direction de l’hôpital, et le prestataire a souvent des propositions à faire. La direction de l’hôpital a aussi identifié des sujets, un croisement de tout cela permet d’organiser les échanges d’informations. Dans ce cadre-là, il va y avoir de l’information sur les contraintes, les objectifs, les dysfonctionnements, les irritants, et puis aussi les demandes, les innovations, les besoins. Cela étant, il y a cette période d’information, dans les 2 sens, à la fois ce qui s’imposait à l’hôpital mais aussi des évolutions souhaitées. Quand on est arrivé au schéma retenu, il y a eu des séances d’informations et de communication auprès, dans un 1er temps, de toutes les personnes qui avaient contribué, à l’échelle de l’hôpital. Des amphis ouverts de présentation ont été proposés. Il y a eu des réunions spécifiques avec la mairie, au conseil municipal, avec les communes, des associations, des réunions publiques. Si on reprend l’exemple de Tony Garnier, on avait eu évidemment beaucoup de réunions avec l’Architecte des Bâtiments de France, et puis avec les associations de défense de Tony Garnier. Et puis des communications un peu au travers des différents supports de l’hôpital.
Le Lean Design est vraiment une méthode de co-construction avec l’ensemble des professionnels et la direction, qui a associé au global 150 à 250 professionnels, eux-mêmes devant interroger leur équipe pour remonter leurs avis. Quand on est arrivé au schéma retenu, il y a eu des séances d’informations et de communication auprès, dans un 1er temps, de toutes les personnes qui avaient contribué, à l’échelle de l’hôpital et des réunions publiques.
#hôpitaldufutur : Pour conclure, on sait que de nombreux établissements ne font pas appel au schéma directeur : est-ce par manque de compétences internes ? Comment les y inciter ?
Alain Benini : La compétence, on va la chercher ! Mais il faut être convaincu et sentir qu’il manque quelque chose. Effectivement, aux HCL, on est 2ème CHU de France, donc on a une construction interne et quelques compétences. Cela dit, on est allé chercher des prestataires pour réaliser tout ça, et on les accompagne. Dans les établissements de moindre importance, il faut qu’il y ait un besoin, et ce besoin passe par le corps médical. A un moment, quelqu’un se dit : j’ai toutes ces demandes d’évolution, j’ai des ambitions pour mon hôpital, comment je fais ? Il y a d’une part effectivement, cette partie médicale, et les moyens ou pas de le mettre en œuvre sur l’établissement. C’est comme quand on fait une opération, il y a un médecin, ici c’est une équipe pluridisciplinaire qui est là pour coopérer avec la direction de l’établissement et apporter la meilleure réponse.
Sandrine Thullier : C’est aussi l’occasion d’une démarche managériale qui créé un vrai dynamisme dans l’établissement. Des études ont été arrêtées ou ralenties par le Covid, mais les gens avaient envie de réfléchir à du plus long terme, de voir autre chose, de se projeter un peu. Les professionnels, qui ont toujours des difficultés à dégager du temps pour des choses annexes à leur pratique, étaient très demandeurs et très participatifs. Si on prend le cas de l’hôpital Edouard Herriot, il a fallu leur expliquer d’où venait l’hôpital et pourquoi on avait ces contraintes. Ça permet de mieux les accepter, d’éclairer et de comprendre un certain nombre de choses. Les gens ont pas mal échangé, aussi, avec d’autres professionnels. C’est quelque chose qui m’a assez marqué : les professionnels sont voisins, prennent le même ascenseur, mais à partir du moment où ils sont dans 2 services différents, ne se connaissent pas. Pourtant, ils ont des problématiques communes, que ce soit sur l’hospitalisation ou sur le bloc opératoire, ces différentes spécialités ont des problématiques communes, et des orientations communes à prendre. Cet échange-là, il y a peu d’endroits pour le faire, les projets médicaux et les schémas directeurs immobiliers sont vraiment une occasion pour fédérer toutes ces forces et les faire travailler ensemble.
Alain Benini : D’où l’importance de la question initiale, le préambule, pour savoir jusqu’à quel niveau on lance la réflexion dans les groupes de travail, jusqu’où on va pour diffuser l’information et recueillir les évolutions attendues
Sandrine Thullier : Ce serait quand même une erreur de se dire on va faire un schéma directeur immobilier entre le directeur et l’ingénieur. Bien sûr, on a une vision des dysfonctionnements, de ce qui pourrait être amélioré, et le directeur a certainement eu beaucoup de demandes, mais c’est vraiment important de faire émerger l’ensemble des demandes avant de peut-être les hiérarchiser, ou d’en écarter certaines, mais en tout cas d’avoir ce moment de recueil de tous les dysfonctionnements et de toutes les demandes avant de se projeter dans l’avenir.
Alain Benini : Dans le Lean, il y a la voix du personnel, la voix des patients. On s’aperçoit que le personnel est très attaché à son site hospitalier, quel que soit le site hospitalier, quel que soient les difficultés. Parfois, 3 fois rien pourrait éventuellement aménager l’irritant principal qui les empêche d’en profiter pleinement. Sur l’hôpital Lyon Sud, on a une déclivité de 16m entre le haut et le bas du site, et finalement les gens vivent en haut ou en bas mais ne se rencontrent pas beaucoup. Le schéma directeur a permis de les écouter, de les entendre et on a une opération qui est en train de naître qui permet de relier le haut avec le bas, de façon plus construite, avec des lieux de rencontres, qui répondaient à la demande des professionnels. Comme l’a dit Sandrine, on peut travailler dans le même établissement sans jamais se croiser et ça, le schéma directeur tel qu’il a été mené, selon les volontés du directeur d’établissement, c’était aussi de fédérer l’ensemble des personnels autour de ces éléments-là.
Sandrine Thullier : Les désaccords, les dilemmes comme on les a appelés, en général le directeur n’a pas poussé le problème devant lui : il a pris le dilemme, il a éventuellement fait des réunions, des échanges spécifiques, mais les sujets mis sur la table ont été arbitrés avec forcément des heureux et des moins heureux, mais rien n’a été caché, et les choses ont été expliquées. Sur le projet médical, la démarche s’est construite en avançant : soit il y avait consensus sur certains sujets, soit il y avait plusieurs approches différentes, et il fallait réussir à les consolider et à trouver un consensus. L’objectif du schéma directeur immobilier, c’est le bâtiment ou les espaces extérieurs. Parmi les dysfonctionnements, certains étaient purement organisationnels, et il revenait au directeur de les prendre en charge en dehors de la démarche du schéma directeur immobilier. En fait, la mobilisation représente du temps directement pour le schéma directeur immobilier, mais aussi pour des sujets qui émergent et ne sont pas forcément bâtimentaires.
Alain Benini : Du coté du prestataire, il est aussi très important d’avoir une équipe dynamique, soudée, qui s’entende et où chacun n’intervient pas dans sa spécialité sans échanges entre eux. Pour la sélection des équipes, on invite beaucoup à faire une rencontre, et suivant les modalités, qu’il faille négociation ou pas, à prévoir au moins une audition qui permette au directeur d’établissement et à l’équipe de l’hôpital de se rendre compte de la motivation qu’il peut y avoir en face, mais surtout aussi de l’expérience et de la manière avec laquelle ils sont à même pouvoir répondre aux attentes. Et ça c’est aussi très important, et le gage de succès du schéma directeur.
C’est l’occasion d’une démarche managériale qui créé un vrai dynamisme dans l’établissement. Les professionnels, qui ont toujours des difficultés à dégager du temps pour des choses annexes à leur pratique, étaient très demandeurs et très participatifs.