#hôpitaldufutur : Patrick Pessaux, vous êtes chef de service au Nouvel Hôpital Civil de Strasbourg et président du Collectif écoresponsabilité en santé (CERES). Pouvez-vous vous présenter, vous et le CERES ? Quels sont ses objectifs et ses actions ?
Patrick Pessaux : Bonjour à tous, je suis chirurgien digestif, chef de service de chirurgie digestive aux Nouveaux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Au niveau national, je suis président de l’Association Française de Chirurgie. Depuis quelques années, les sociétés savantes, sous l’impulsion essentiellement des anesthésistes avec la Société d’Anesthésie, la SFAR, se sont préoccupées de la question environnementale, du développement durable dans le système de santé, et j’ai été touché par cette question en tant que président de l’association française de chirurgie et à titre professionnel, dans mes pratiques, j’ai été aussi touché par l’anesthésiste qui faisait partie de ce groupe « développement durable », pour qu’on mette des choses en place au sein du service et du département. J’ai interrogé la discipline sur l’appétence actuelle des professionnels de santé sur cette question de développement durable. La durabilité de notre système de santé est un vrai sujet. Il y a des questions qui sont très spécifiques à une spécialité, pour concevoir des soins plus écoresponsables. Par exemple, l’anesthésie, avec un changement de gaz anesthésiant. Donc il y a des choses qui sont très « disciplines-dépendantes ». Mais à l’échelle du patient, c’est un parcours, une succession de professionnels, et cela nous semblait intéressant de rassembler toutes les compétences des sociétés savantes, pluriprofessionnelles, pas que des médecins mais aussi des soignants, pour réfléchir autour de cette question. On a créé une association qui regroupe des sociétés savantes, c’est le Collectif d’Ecoresponsabilité en Santé (CERES) qui a maintenant 2 ans. On a une dizaine de sociétés savantes fondatrices, avec également des patients, il y a aussi l’association France Assos Santé, et on a grossi tout doucement, pour être maintenant une vingtaine de sociétés savantes, pour réfléchir collectivement, de façon transversale, sur cette dimension de développement durable au niveau de notre système de santé. Les missions que nous nous sommes données sont, d’une part, de partir du terrain, des gens qui faisaient des soins, car on reste quand même des professions corporatistes et je trouve que les choses avancent beaucoup plus quand ça naît de chez nous que quand on nous impose des idées qu’on prend plutôt comme des contraintes. Cela nous paraissait important que nous nous emparions nous-même du sujet, de partir des professionnels de santé. Beaucoup d’initiatives se font un peu partout, et notre mission première était de mettre les gens en réseau. Si on veut à un endroit changer nos pratiques au bloc opératoire, qu’on ne parte pas d’une feuille blanche et qu’on puisse bénéficier des expériences des autres ! La deuxième mission, c’était d’informer sur le sujet, en participant à des formations. Comme les sociétés savantes, nous sommes un label académique, donc il y avait ces ambitions de développer des formations sur la santé environnementale et le développement durable, et de pouvoir interpeller soit les doyens de faculté, soit les directrices d’écoles d’infirmières, sur la nécessité que nos professionnels soient formés. Dans le même esprit, on propose des recommandations de bonnes pratiques médicales et de soin qui seraient plus vertueuses sur le plan écoresponsable. La base, c’est le soin du malade, et notre éthique sera toujours d’offrir le meilleur soin. Après, on a des critères non seulement économiques mais aussi environnementaux, pour savoir si utiliser de l’usage unique par rapport à l’usage multiple, par exemple, est vertueux. Sans risques infectieux sur le patient et le personnel, quelle pratique serait mieux que l’autre sur le plan environnemental en termes de gaz à effet de serre ? Aujourd’hui, la littérature médicale est assez faible, donc on ne peut pas donner des consensus avec des données fortes, nous avons des recommandations de bonnes pratiques à partir de la littérature et d’avis experts. La dernière ambition, c’est de chasser en meute pour être toujours plus efficace. Ce collectif représente beaucoup de professionnels, c’est nécessaire pour avoir une écoute auprès de nos tutelles, de nos instances, afin de mettre en place des pratiques, des législations, des réglementations.
Le Collectif d’Ecoresponsabilité en Santé (CERES) a maintenant 2 ans. On a une dizaine de sociétés savantes fondatrices, avec également des patients, l’association France Assos Santé, et on a grossi tout doucement, pour être maintenant une vingtaine de sociétés savantes, et réfléchir collectivement, de façon transversale, sur cette dimension de développement durable au niveau de notre système de santé. Cela nous paraissait important que nous nous emparions nous-même du sujet, de partir des professionnels de santé.
#hôpitaldufutur : Les exemples réussis en entrainent d’autres. Pourriez-vous nous citer quelques exemples de pratiques écoresponsables déployées dans des établissements ?
Patrick Pessaux : Un établissement de santé, c’est une petite ville ; il y a le soin, mais il y aussi le transport, la cuisine, donc il peut y avoir beaucoup d’actions au sein d’un hôpital en termes de développement durable. La filière santé représente 8% des émissions de gaz à effet de serre, c’est plus que l’aéronautique, ce n’est donc pas quelque chose de marginal ! Les spécificités au niveau de notre système de santé sont avant tout les achats de médicaments et de dispositifs médicaux, près de 50% de nos émissions de gaz à effet de serre, ainsi que la mobilité, car un établissement de santé travaille 365j/365 et 24h/24, avec un double flux de patients et personnels. Ce sont donc les deux gros éléments sur lesquels on peut agir pour réduire les gaz à effet de serre. Après, il y a beaucoup d’autres choses comme l’alimentation, l’énergie et les déchets. On s’attaque souvent en premier aux déchets, qui ne représentent que 2,5% des émissions de GES. On peut se demander pourquoi s’attaquer à des choses qui ne sont pas les plus pertinentes en termes d’efficacité, mais il faut aussi que ce soit visible. Quand on fait des actions, entrainer une équipe c’est moteur, ça donne du sens, en terme managérial c’est intéressant. Aujourd’hui, avec nos centrales d’achat, on n’a pas entièrement la main, et les effets, le personnel ne les verra pas. Je pense qu’il faut avoir ces deux visions : l’une, macro, pour mener des actions à l’échelle nationale, comme travailler sur l’achat des médicaments pour qu’ils ne viennent pas de l’autre bout du monde. Et il faut aussi avoir des actions plus concrètes, pratiques, qui entrainent et qui motivent. 30% des déchets d’un hôpital proviennent du bloc opératoire et des salles interventionnelles : on est très consommateur de déchets au sein des plateaux techniques. La gestion des déchets, le tri ou la mise en place de filière de recyclage, c’est un des axes que beaucoup d’établissements ont pu commencer à mettre en place. Par exemple, dans notre hôpital à Strasbourg, c’est la récupération en bloc opératoire des métaux. Les lames en inox d’anesthésie du laryngoscope qu’on utilise pour endormir le malade sont à usage unique, mais il y a quelques années, c’était de l’usage multiple, on a évolué probablement plus par précaution que par démonstration d’infection par la lame. On pourrait à nouveau réfléchir à de l’usage multiple, ou en tout cas utiliser le recyclage. On recycle les lames d’inox, les fils à bistouri, les emballages d’aluminium des fils chirurgicaux, qui sont tous triés en fin de bloc opératoire par le personnel, stockés, et revendus à un ferrailleur qui recycle ces différents métaux. On a aussi mis en place le tri comme à la maison. En fait, on se met en conformité car il y a une loi qui date de 2016, qui impose le tri sur les 5 flux : papier, bois, verre, métal et plastique. Au bloc opératoire, le plastique et le verre sont aussi triés. Dans beaucoup d’établissements, les anesthésistes ont initié des pratiques purement médicales, de changement de gaz anesthésiant, car il y a des gaz qui sont très polluants, donc ils ont modifié et annulé l’utilisation de certains gaz. Le déchet alimentaire est aussi un sujet, car souvent les plateaux de nourriture sont repris intégralement et jetés. Des initiatives ont été mises en place, par exemple on prend la pesée du plateau de manière automatique pour savoir combien de poids d’aliments ont été jeté à la poubelle. C’est un principe général, quand on ne sait pas, on n’est pas conscient et on ne met pas d’actions modificatrices. Le seul fait de donner aux services le nombre de tonnes d’aliments qui ont été jetés et d’en prendre conscience peut permettre un gain de perte de 20% dans les établissements. On peut partager des astuces pour qu’on puisse démarrer à un autre endroit une démarche, et être plus efficaces. Lorsqu’un établissement veut se mettre dans une politique globale de développement durable, la première question, c’est d’avoir son bilan carbone pour savoir d’où on part, et comment on modifie ce bilan carbone. Le bilan carbone n’est qu’un des indicateurs, car sur le plan environnemental il n’y a pas que les gaz à effet de serre. Mais c’est comme en médecine, on prend la température au départ, puis après le traitement, pour voir si la température a baissé ou non. Trop peu d’établissements l’ont fait. La loi impose pourtant un bilan carbone tous les trois ans dans les établissements qui emploient plus de 500 personnes, mais on n’en est pas là…
Je pense qu’il faut avoir ces deux visions : l’une, macro, pour mener des actions à l’échelle nationale, comme travailler sur l’achat des médicaments pour qu’ils ne viennent pas de l’autre bout du monde. Et il faut aussi avoir des actions plus concrètes, pratiques, qui entrainent et qui motivent nos équipes.
Lorsqu’un établissement veut se mettre dans une politique globale de développement durable, la première question, c’est d’avoir son bilan carbone : c’est comme en médecine, on prend la température au départ, puis après le traitement, pour voir si la température a baissé ou non. La loi impose pourtant un bilan carbone tous les trois ans dans les établissements qui emploient plus de 500 personnes.
#hôpitaldufutur : Comment inciter à ces bonnes pratiques ? Quels sont les freins, les blocages, et vos recommandations pour les dépasser ?
Patrick Pessaux : Il y a beaucoup d’expérimentations et de choses qui se font au sein des établissements, mais non coordonnées, non structurées. Chez nous, ça peut être un médecin, une aide-soignante ou un cuisiner, qui a des idées et qui les met en place avec son service ou avec sa hiérarchie. Ce sont des initiatives individuelles au niveau d’une unité de soin. La question est bien, de ces démarches qui ont été initiées, comment en faire une vraie politique institutionnelle ? On est aujourd’hui à ce niveau-là. On est passé de « rien » à « des citoyens ont essayé de transposer ce qu’ils font chez eux à l’hôpital », dans leur pratique professionnelle. L’idée c’est maintenant d’organiser cela dans une politique institutionnelle de développement durable globale, et d’avoir une impulsion de l’ensemble du collectif dans lequel on travaille. Aujourd’hui, certains établissements sont plus en avance que d’autres. Cela a déjà été inscrit dans la loi, que les établissements devront inclure le développement durable dans leurs projets médicaux. On est dans une étape de structuration au sein de nos établissements, afin de coordonner toutes ces initiatives, pour établir un vrai programme institutionnel. Quand j’avais mené ce sondage au sein de la discipline, dans le cadre de la société savante, beaucoup de chirurgiens répondaient, « c’est une question dont il faut s’emparer », mais 70% des gens ne savaient pas comment faire, se sentaient un peu seuls, sans aide ni support institutionnel. Il n’y avait pas de refus systématique des directions, mais elles les laissaient se débrouiller. Et les professionnels ne connaissent pas toute la réglementation… C’est une politique institutionnelle qu’il faut, et le CERES est un support réel pour mettre les choses en œuvre.
Il y a beaucoup d’expérimentations et de choses qui se font au sein des établissements, mais non coordonnées, non structurées. La question est bien, de ces démarches qui ont été initiées, comment en faire une vraie politique institutionnelle ?
#hôpitaldufutur : En tant que médecin, quels seront vos attentes sur les projets (établissements et bâtiments) à venir ?
Patrick Pessaux : La médecine d’aujourd’hui évolue très vite, avec des innovations nombreuses. Il faut donc probablement imaginer un hôpital modulable, pas figé pour 30/40 ans. Depuis quelques années, la chirurgie robotique est apparue dans les blocs opératoires, il peut aussi y avoir de nouveaux matériaux, donc les salles peuvent nécessiter d’être plus ou moins grandes ou petites. On va passer à des pratiques beaucoup plus ambulatoires. Je ne suis pas architecte, mais j’ai l’idée d’un hôpital qui ait des conceptions modulables pour qu’on puisse peut-être adapter à des pratiques médicales qui vont évoluer, plutôt qu’un bâtiment rigide et fixe qu’on doit démonter dès qu’il y a quelque chose. La feuille de route peut être différente en fonction de l’implantation d’un hôpital. C’est aussi dans la démarche « qualité de vie-RSE », la conception doit prendre cette dimension territoriale.
On peut parler déjà du soin en lui-même, de la conception d’un soin écoresponsable. Et après, pour aller au-delà, il faut aller sur la durabilité de notre système de santé, qui va au-delà du soin, on parle aussi de qualité de vie au travail. C’est toute la politique RSE qu’il faut penser dans nos établissements de santé, dans une vision de durabilité.
#hôpitaldufutur : Pour conclure, si on se place dans une vision prospective, quelles seraient vos ambitions pour un système de santé plus durable ?
Patrick Pessaux : On peut parler déjà du soin en lui-même, de la conception d’un soin écoresponsable. Et après, pour aller au-delà, il faut aller sur la durabilité de notre système de santé, qui va au-delà du soin, on parle aussi de qualité de vie au travail. C’est toute la politique RSE qu’il faut penser dans nos établissements de santé, dans une vision de durabilité. Sur le soin même, sur les pratiques, on est passé de l’usage multiple à de l’usage unique et jetable, que ce soit sur les tenues de bloc opératoire, le matériel. Par exemple, la société d’hygiénistes et les anesthésistes ont commencé les recommandations sur les tenues de bloc opératoire, pour ne plus utiliser du papier mais du coton lavable. Le CERES a participé à la relecture et à la finalité des recommandations. Sur le plan hygiénique, il n’y a pas de différences, il n’y a pas plus d’infections sur le papier ou sur le coton lavable, mais en termes de qualité de vie du personnel, c’est beaucoup plus sympa d’avoir un pyjama en coton que du papier. En termes d’impact carbone, c’est aussi moins important, on fait des économies d’émission de GES grâce au coton lavable. Donc les recommandations portent à la fois sur la qualité de vie et sur le plan environnemental, avec les mêmes attentes de sécurité pour le patient. Le dimensionnement de l’hôpital et le retour de la blanchisserie, sont une question. Dans la littérature, concernant l’usage unique/multiple de certains dispositifs médicaux, certaines études australiennes et anglaises montrent qu’on pourrait repasser à l’usage multiple, cela voudrait dire stériliser et redimensionner le bloc opératoire. Je pense qu’il va y avoir un retour de balancier sur le plan environnemental, pour repasser sur de l’usage multiple, dans certaines conditions. Le développement durable, dans sa vision globale, c’est un triptyque : environnemental, économiquement soutenable et socialement équitable. Ce sont les trois piliers si on veut que le système de santé soit durable et soutenable dans les années à venir. Sur le plan économique, les meilleurs déchets sont ceux qu’on ne produit pas, et les meilleurs soins sont aussi ceux qu’on ne produit pas. Ça veut dire qu’il faut faire une politique nationale de prévention, car pour toutes les maladies qui ne seront pas là, il n’y aura pas la nécessité de créer de soins. Il n’y a pas d’indicateurs pour connaitre la pertinence des soins qu’on fait. On n’est probablement pas optimal dans nos soins. On a le taux de mortalité et de complication, et on nous donne plutôt des indicateurs de quantité. Mais on n’a pas d’indicateurs de délais de prise en charge, des indicateurs pour savoir si plusieurs examens ont été refait, des indicateurs de satisfaction des patients. Si dans un premier temps, on travaille sur une sobriété de nos soins, plus optimaux, c’est aussi travailler sur un système de santé plus durable. Socialement, la qualité de vie au travail, aujourd’hui on sort d’une période de crise sanitaire où nos hôpitaux ne vont pas très bien parce qu’on a un problème de ressources humaines. La grosse difficulté, c’est l’attractivité, et pour notre personnel, la qualité de vie au travail. L’endroit où l’on travaille a aussi une importance et un sens. Par exemple, pour les gens dans l’industrie ou à l’hôpital, qui travaillent de nuit, il a été démontré que les micro-siestes rendaient plus performant, ça diminue les erreurs et favorise une prise en charge optimale des patients. Ça veut dire aussi que dans les services où on travaille obligatoirement 24/24h et avec beaucoup de personnel comme les urgences, la réanimation, il faut dans les locaux réfléchir à des endroits où le personnel pourrait faire des micro-siestes de 15 minutes. Dans le même exemple, les gens qui travaillent la nuit et rentrent se coucher la journée ne voient que de la lumière artificielle et très peu la lumière du jour. Il y a des travaux qui ont démontré que la lumière devait être adaptée dans la nuit, avec des lumières progressives pour recréer une pseudo lumière de jour. Ce sont des choses qu’il faut intégrer dans la structure du bâtiment, pour le bien être de notre personnel, pour la qualité de vie au travail. Le patient lui-même a sa place dans le soin. On est dans une relation de partenariat, d’échanges, de partage de la décision, mais on utilise aussi l’expérience de certains patients qui peuvent aider les gens à travailler avec les associations de patients. Aujourd’hui, à l’hôpital, on a des bureaux de consultation de médecin mais on ne retrouve pas de locaux pour le patient expert. Il faut aussi avoir des lieux pour les associations de patients et les patients experts. Les personnels qui travaillent dans de bonnes conditions travaillent mieux, donc font de meilleurs soins, et les patients sont mieux pris en charge. En tant que professionnel, ce que je veux, c’est que les patients soient mieux pris en charge. Les espaces de repos, la végétalisation des espaces, ne pas utiliser que du béton, travailler dans un lieu humanisé, sont des sujets à prendre en compte. Dans notre métier, on parle de l’humain, avoir un lieu de travail en accord et pas seulement des bâtiments bétonnés est important. Le lieu de travail doit intégrer ces dimensions RSE, et l’hôpital du futur doit changer des tours des années 70 qui ressemblent à des HLM ! Si on ne devait retenir qu’une seule raison à cela, c’est pour mieux soigner nos patients !
On a un problème de ressources humaines. La grosse difficulté, c’est l’attractivité, et pour notre personnel, la qualité de vie au travail. L’endroit où l’on travaille a aussi une importance et un sens. Les personnels qui travaillent dans de bonnes conditions travaillent mieux, donc font de meilleurs soins, et les patients sont mieux pris en charge. En tant que professionnel, ce que je veux, c’est que les patients soient mieux pris en charge.