Conversation#34

with CoActis Santé

Le rôle des associations

“Le rôle des associations”, une Conversation avec Coactis Santé, Pauline d’Orgeval et Odile Antoine

Depuis 2010, l’association CoActis Santé agit pour l’accès à la santé des personnes en situation de handicap. L’association et ses nombreux partenaires développent et diffusent dans toute la France SantéBD et HandiConnect.fr, 2 solutions concrètes pour faciliter la préparation des rendez-vous médicaux, l’acceptation des soins et l’alliance thérapeutique patient-soignants. Les 2 outils sont disponibles gratuitement.

https://coactis-sante.fr/

#hopitaldufutur : Pauline d’Orgeval, vous avez fondé CoaActis Santé en 2010. Pouvez-vous revenir sur sa genèse et le constat initial que vous faisiez alors ?

Pauline d’Orgeval : Effectivement, il y a eu deux moments importants qui ont conduit à fonder cette association. Le premier, c’est comme souvent une histoire personnelle. J’ai un fils qui a une déficience intellectuelle des troubles du spectre autistique. Il devait se faire arracher une dent, impossible chez un dentiste classique. Il a dû se faire endormir et anesthésier dans un endroit particulier, une clinique. On avait cherché à lui expliquer ce qui allait se passer et on n’avait rien trouvé de disponible. On avait dû faire des collages. On avait oublié de lui parler de la charlotte. C’est tout bête, mais ça a failli faire capoter son anesthésie, parce qu’il a été très angoissé par cet inconnu. Pour les personnes avec autisme, tout ce qui est… J’ai envie de dire un changement est compliqué pour eux. Voilà, cet épisode m’a amené à me dire que c’était important qu’il y ait un outil de dialogue autour de la santé d’information, qui soit accessible et qui explique avec des mots simples et des illustrations, ce qu’on va faire, ce qui va se passer.

Deuxième prise de conscience, c’était un colloque sur les soins somatiques et les personnes avec autisme. Ça m’avait frappée : un médecin parlait d’une unité psychiatrique dans un hôpital, qui accueillait des personnes adultes avec autisme. Ils avaient fait des examens approfondis, justement, pour voir si quand même, il n’y avait pas autre chose à l’origine des troubles de comportement. Et en fait, 60% de ces patients adultes avaient des douleurs intenses, expliquant leurs troubles de comportement, et ils n’avaient en fait rien à faire dans un service psychiatrique. Les troubles de comportement, pour ces personnes non verbales, ne pouvant pas s’exprimer, étaient expliqués par ces rages de dent, ces calculs rénaux, des hernies discales, des laryngites, des choses qui font extrêmement mal, les conduisant effectivement à se taper la tête, à s’auto-mutiler… Ces deux moments m’ont marquée.

60% de ces patients adultes avaient des douleurs intenses, expliquant leurs troubles de comportement, et ils n'avaient en fait rien à faire dans un service psychiatrique !

L’idée, c’était de créer une association pour faciliter l’accès à la santé des personnes en situation de handicap, et puis de faire émerger le sujet. Le sujet était, malgré la loi de 2005, encore très peu présent y compris chez les professionnels. Il y avait une sensibilisation à faire auprès des professionnels de santé, des parents et de l’ensemble de l’écosystème. Le constat était qu’il n’existait pas d’outils, ou plutôt plein d’outils. Par exemple, les outils de communication, on n’était pas les seuls à se dire qu’il en manquait. Alors, soit les parents ou des structures médico-sociales faisaient leurs propres outils, soit une association le faisait pour un type de handicap, ou pour un type de soins. L’idée de CoaActis est de créer des outils à vocation universelle, qui englobent un maximum de spécialités – parce que, pour avoir de l’impact, il faut être connu de tous.

L'idée, c'était de créer une association pour faciliter l'accès à la santé des personnes en situation de handicap, et puis de faire émerger le sujet. Le sujet était, malgré la loi de 2005, encore très peu présent y compris chez les professionnels. Il y avait une sensibilisation à faire auprès des professionnels de santé, des parents et de l'ensemble de l'écosystème.

L’idée était aussi de coconstruire des outils avec l’ensemble des parties prenantes. Peut-être qu’aujourd’hui, on parle plus de cette co-construction, mais il y a dix ans c’était peu le cas. Il s’agit de coconstruire ces outils avec l’ensemble des associations, tout type de handicap confondu : des professionnels de santé, des institutions, des établissements et surtout avec les personnes concernées : les personnes en situation de handicap. Ça, c’est le premier principe. Le deuxième principe est basé sur la conviction. Un outil de communication ou une formation du soignant sont essentiels pour nos enfants en situation d’handicap. Et ce que l’on va imaginer et mettre en place pour des personnes en situation de handicap va bénéficier à l’ensemble de la société. Par exemple, l’outil « Santé BD va bénéficier à l’ensemble des enfants ainsi qu’aux adultes qui ont un faible niveau d’itération santé ou qui ne parlent pas bien français. Donc, en plus d’être essentiel pour les patients avec déficience intellectuelle, autisme ou apathie, c’est aussi un service à l’ensemble de la société.

En plus d'être essentiel pour les patients avec déficience intellectuelle, autisme ou apathie, c'est aussi un service à l'ensemble de la société.

On a un conseil scientifique et éthique où se trouvent les représentants des différents ordres : des médecins, des sages-femmes, des dentistes… Pas encore des infirmiers, mais ça va venir. On pourrait avoir beaucoup plus de visibilité avec Ameli. On travaille avec eux, c’est déjà formidable mais on sait qu’on peut aller beaucoup plus loin. Il faudrait qu’on soit sur Doctolib. Partout où l’audience se trouve, à la fois auprès des patients et des professionnels de santé.

L’enjeu principal est d’accueillir et soigner dans de bonnes conditions des personnes en situation de handicap, dans des lieux de soins pour tous, avec des professionnels de santé. Et après, quand ce n’est pas possible ou quand il y a des spécificités telles que la mammographie d’une personne en fauteuil roulant ou une personne avec des troubles de comportement tels que l’endormissement, là, trouver les lieux de soins spécifiques. L’objectif est que tous les soignants et tous les accueillants aient un minimum de savoir être et de savoir-faire avec les personnes en situation de handicap, sans être indélicat, car il y a encore beaucoup d’indélicatesses. Par exemple, une personne en fauteuil roulant, elle n’est pas du tout déficiente intellectuelle. Quand il y a un aidant, le nombre de fois où le soignant parle à l’aidant et pas à la personne en fauteuil, c’est extrêmement humiliant. Une personne avec autisme, si vous la touchez, elle peut réagir assez brutalement. Il y a plein de choses à savoir. C’est du bon sens, mais le handicap fait peur et on ne peut pas en vouloir aux gens. Il faut avoir un minimum de sensibilisation pour que le regard puisse changer.

Le handicap fait peur et on ne peut pas en vouloir aux gens. Il faut avoir un minimum de sensibilisation pour que le regard puisse changer.

#hopitaldufutur : Coatis Santé a développé plusieurs actions, notamment HandiConnect, Santé BD et une banque d’expérience. Odile Antoine, pourriez-vous les présenter ?

Odile Antoine : On va commencer par SantéBD. Ce sont des BD en ligne, accessibles à tous, pour comprendre et expliquer simplement des examens, des soins, mais aussi les bonnes attitudes de prévention. On va petit à petit développer des sujets divers et variés. La prévention en fait partie, ainsi que tous les parcours de dépistage. Tous ces sujets-là vont être abordés dans SantéBD. La particularité de SantéBD, au-delà d’être une bande dessinée, c’est qu’elle s’appuie sur le « Facile à lire et comprendre », qui est une méthode d’accessibilité, avec un cahier des charges très rigoureux, une certaine manière de tourner les phrases. C’est simple, mais ce n’est pas simpliste non plus, on ne va pas non plus sur du langage enfantin. Bien sûr, ça peut s’adresser à des enfants, mais ça s’adresse aussi à des adultes. Derrière ces BD, il y a à la fois une technique de rédaction qui est élaborée par des experts en communication, qu’on appelle la CAA, communication alternative et augmentée. On a plusieurs experts qui représentent plusieurs grandes familles de difficultés, par exemple le versant autisme, comme l’a évoqué Pauline, mais on a aussi des personnes qui vont plus représenter les difficultés pour les personnes sourdes ou aphasiques et d’autres qui vont être plus par rapport à une personne qui a une différence intellectuelle particulière.

Ces BD sont déclinées, parce qu’on sait très bien que pour un certain public c’est encore trop compliqué, trop long, trop inaccessible, et donc on a différents formats : vidéo, banque d’image, etc., qui permettent aux professionnels de santé et aux professionnels de l’accompagnement de construire les outils, et c’est là l’universalité de SantéBD. C’est qu’en fait on apporte toute la matière et ensuite, c’est aux professionnels de s’en saisir et de construire vraiment l’outil idéal, complètement adapté à la personne avec lequel on veut construire un parcours de soins adapté.

Les familles aussi peuvent s’en saisir, puisque l’idée c’est de partager toute cette production aussi bien aux professionnels qu’aux patients et à leurs aidants. On a énormément de familles aussi qui se sont saisies de cet outil pour préparer le soin et la préparation en amont, avant la date du rendez-vous. Pour un certain nombre de patients, c’est fondamental. Si le soin n’a pas été préparé en amont, ça ne marchera pas. SantéBD répond vraiment à cet enjeu de préparation, afin de rendre la personne actrice de son parcours puisqu’elle va mieux comprendre pourquoi il se passe ça, pourquoi tout d’un coup on l’envoie chez tel ou tel spécialiste, pourquoi elle rentre dans la salle et voit ces appareillages. L’idée, c’est vraiment qu’elle puisse être beaucoup plus à l’aise et comprendre ce qui se passe autour d’elle.

Aujourd’hui, il y a énormément de choses dans SantéBD. Il y a plus de 80 thématiques et il y a des déclinaisons, je n’en ai pas parlé, mais c’est personnalisable, c’est-à-dire que dans SantéBD vous pouvez choisir de changer automatiquement d’un clic le personnage qui devient un homme ou une femme, un enfant. On peut mettre la personne sur un fauteuil et toute la BD, tout le scénario va s’adapter. C’était pour nous extrêmement important de pouvoir vraiment aller très loin dans la personnalisation. C’est pour ça que c’est un outil avant tout numérique, puisque des versions papier auraient moins d’intérêt. Toute cette matière est aujourd’hui disponible sur un site, et diffusée à l’ensemble des acteurs du soin.

La particularité de SantéBD, au-delà d’être une bande dessinée, c'est qu'elle s'appuie sur le « Facile à lire et comprendre », qui est une méthode d'accessibilité, avec un cahier des charges très rigoureux, une certaine manière de tourner les phrases. C'est simple, mais ce n'est pas simpliste non plus, on ne va pas non plus sur du langage enfantin. Bien sûr, ça peut s'adresser à des enfants, mais ça s'adresse aussi à des adultes.

Pauline d’Orgeval : Parfois, certains professionnels de santé nous disent que grâce à SantéBD, ils arrivent à faire des soins dans des cabinets classiques sans endormir la personne, alors qu’avant ce n’était pas possible. Je me souviens, notamment pour l’IRM. L’IRM, c’est quand même très angoissant, on se retrouve dans un tube, il y a du bruit. Et donc, pour certains patients, grâce à cette préparation, le niveau d’angoisse baisse et du coup, ils peuvent le faire classiquement, sans être endormis. Cela simplifie quand même énormément le processus, ce qui est bien pour la famille, pour le soignant et puis pour la personne surtout elle-même.

Odile Antoine : Il y a des soins très simples, comme une prise de sang, qui peut être une montagne pour certains patients. Beaucoup d’infirmiers et infirmières qui utilisent SantéBD aujourd’hui, nous envoient tous les jours des messages de retour d’usage : des familles ou des infirmiers nous disent « On a réussi enfin à faire la première prise de sang à un jeune qui a 19 ans ou 20 ans. » !

Santé Bd, c’est le premier outil. Evidemment, on s’est dit « Ça ne suffit pas ». Il faut aussi aller sur l’accompagnement des professionnels de santé, les outiller aussi, leur expliquer pourquoi SantéBD peut être intéressant. Pourquoi certains patients ont besoin de cette préparation en amont. ». Ce n’est pas inné, il faut le savoir, il faut connaître les spécificités de chaque grande famille de handicap et à l’intérieur de ces grandes familles, il faut avoir aussi des connaissances plus fines. Donc, ce qu’a fait CoActis, c’est qu’on a mobilisé les experts dans les différents champs de spécialités médicales ou dans les différents grands champs de handicap, et on a constitué des groupes de travail. On leur a dit « Voilà, ce qu’on veut maintenant, c’est avoir des fiches concrètes, centrées sur la pratique du médecin, pour un médecin de ville qui n’a pas l’habitude d’accueillir ces patients et qui va peut-être en accueillir un de temps en temps ».

On ne peut pas forcément envoyer ces soignants en formation tout de suite, pour qu’ils connaissent tout sur le handicap. L’enjeu, c’est vraiment qu’ils trouvent l’information au moment où ils en ont besoin. On est donc parti sur des formats de fiches pratiques. On a commencé à les éditer, en commençant par des handicaps les moins connus, pour lesquels on sait qu’il y avait une vraie difficulté d’accès aux soins, par exemple les troubles du spectre de l’autisme, le polyhandicap. Et puis, petit à petit comme ça, on a développé tout un champ sur les différents handicaps, les différents handicaps sensoriels, tous les troubles du neurodéveloppement. Là, on est en train de travailler sur les TDAH. Il s’agit déjà de redire ce que c’est, de redéfinir ce que c’est, la prévalence, l’étiologie, évidemment, mais aussi les points de vigilance en clinique pour un médecin traitant, pour un soignant, pour un urgentiste. Quels sont vraiment les repères qu’il doit connaître ? Quels sont aussi les acteurs ? Parce que le champ du handicap, du médicosocial, c’est extrêmement nébuleux pour un acteur qui vient du sanitaire. On sait très bien qu’ils ne se parlent pas, mais en même temps, ils ne font rien pour se parler, parce qu’ils ont tous des langages et des acronymes très difficiles à comprendre. A un moment, il faut presque une table de traduction !

L’idée, c’était aussi d’adopter un langage commun et de faire passer des messages suffisamment accessibles. On est sur le sujet de la communication. SantéBD est là pour lever les peurs des patients, certes, mais aussi les peurs chez les soignants. Rassurer, avec le message que « ce n’est pas si compliqué que ça ». Avoir en tête les différents points de vigilance, et peut-être les acteurs sur lesquels on peut s’appuyer à un moment ou un autre dans le parcours du soin. Connaitre les associations aussi qui sont très engagées sur tel ou tel handicap : le médecin n’a pas forcément de connaissance de tout cet écosystème. Donc, lui apporter toute cette information rapidement dans le site ressource qu’est HandiConnect, et l’intégrer le plus possible dans son environnement de travail. Notre objectif est de mettre à disposition ce contenu dans les applications métiers des soignants. On propose de l’open source, avec la possibilité d’aller piocher directement ces contenus ; sinon, ce sera juste un site d’information en plus.

Troisième et dernière chose, c’est la banque d’expériences. Pour le coup, c’était une initiative d’acteurs institutionnels, notamment du ministère de la Santé, qui nous a sollicité pour héberger une banque d’expériences rassemblant actuellement un ensemble de projets innovants autour de l’accès aux soins, montés par des équipes à la fois hospitalières, mais aussi médicosociales, voire de ville. Des projets transversaux, qui ont eu un réel impact sur l’amélioration du parcours de soins des patients. L’idée, c’était d’essaimer des fiches techniques montrant comment ils ont fait, ce qui a marché, ce qui a moins bien marché, avec quels moyens, pas toujours des moyens financiers. L’idée, c’est de dire qu’il y a des choses qui existent, qu’il faut les faire connaître et généraliser toutes ces bonnes pratiques.

Le médecin n'a pas forcément de connaissance de tout cet écosystème associatif. Donc, il faut lui apporter toute cette information rapidement dans le site ressource HandiConnect, et l’intégrer le plus possible dans son environnement de travail.

#hopitaldufutur : Comment améliorer l’accessibilité des établissements afin de contribuer à l’autonomie des patients ? Comment travaillez-vous à leur côté ?

Pauline d’Orgeval : Bien sûr, on fait de la pédagogie auprès des référents handicap des établissements, mais auprès d’autres acteurs. L’accessibilité, ça n’est pas que l’accessibilité du bâti. C’est vraiment plus un état d’esprit et une accessibilité globale. Il y a déjà l’accessibilité au niveau du langage. Il y a vraiment un enjeu de littératie en santé. Il y a une étude récente de la DREES qui vient de sortir : une personne sur dix éprouve des difficultés de compréhension de l’information médicale. C’est vraiment énorme ! Donc l’accessibilité de l’information, ce que fait SantéBD par exemple, doit être fait au niveau de la signalétique et au niveau aussi des sites Internet. L’accessibilité globale de l’information est clé pour que tout le monde soit embarqué, tout le monde comprenne ce qui va se passer, tout le monde comprenne où ça va se passer, comment on peut y accéder et qu’on n’oublie personne.

Ensuite, il y a quand même un enjeu organisationnel. Je pense qu’en tant qu’architecte, c’est important que vous l’ayez en tête. L’enjeu organisationnel, c’est aussi par exemple, de prendre toujours à l’heure des patients qui ont des problèmes de comportement, par exemple avec des troubles du spectre autistique. Si on fait attendre une demi-heure ou une heure une personne avec autisme, ça peut très mal se passer. Alors qu’il suffit de mettre ces rendez-vous-là en début de matinée ou en début d’après-midi. Ça, c’est de l’organisationnel. De la même façon, au niveau des équipements des cabinets médicaux par exemple, avoir des time-timer pour que le patient puisse savoir où il en est dans la consultation, combien de temps ça va durer. Mais c’est aussi, par exemple, des tables de consultation qui se surbaissent, des araignées de transfert, c’est des balances sur lesquelles des personnes en fauteuil roulant peuvent accéder… Donc, il y a vraiment un sujet organisationnel, un sujet « équipement ». Ensuite, il y a un sujet « identification des lieux de soins spécifiques ». On milite pour que les lieux de soins « communs » soient accessibles à tous. Mais parfois, ce n’est pas possible, par exemple pour une personne avec des difficultés vraiment spécifiques. Il y a donc un enjeu d’information pour savoir où trouver ce lieu de soins accessible.

Je vous donne un exemple. Moi, j’ai un fils qui a eu une rage de dents ce week-end. Qu’est-ce que vous faites avec un garçon de 24 ans qui a une rage de dents et qui ne va évidemment pas se laisser ausculter ? Il y a vraiment un sujet d’identification des lieux de soins qui sont capables de prendre en charge des situations plus complexes, des lieux de soins adaptés. Par exemple, pour une personne en fauteuil roulant, pour une mammographie, c’est extrêmement compliqué de trouver des lieux de radiologie accessibles. C’est donc important aussi de pouvoir flécher, informer.

Odile Antoine : Effectivement, les consultations ultra spécialisées pour des patients en échec de soins sont souvent à l’hôpital, avec des avis techniques, une médecine proposée derrière, et de plus en plus, des alternatives à la médecine générale, avec la médiation cognitivo-comportementale. On peut faire appel à des techniques, à l’hypnose, ou au Meopa, un gaz hilarant un peu moins agressif que l’anesthésie.

Ça, c’est pour le côté hospitalier. Il y a ensuite toute la partie « médecine de ville » qui aujourd’hui manque cruellement à ces patients, parce que le patient ne va pas aller à l’hôpital pour juste faire un suivi préventif. Avoir un RV, c’est déjà difficile pour tout le monde, alors encore plus pour une personne avec qui on sait que c’est compliqué, et que le soignant va probablement avoir besoin de deux fois plus de temps. C’est l’échelle de temps qui est donnée. Bien sûr, il y a aussi l’enjeu de la valorisation de ce temps passé. Là-dessus, il y a un projet en cours, porté par Santé.fr et une association qui milite beaucoup sur les sujets d’accès aux soins avec nous, l’APF France Handicap, qui a mis en place un annuaire qui permet d’identifier tout un tas de critères d’accessibilité autres que le critère du bâti. C’est de l’auto-déclaration, mais c’est une bonne manière de rendre accessible cette information. Il y a tout un tas de questions qui sont posées aux cabinets libéraux et qui a pour vocation ensuite d’être rendu public sur Santé.fr. Par exemple, « Oui, je suis capable d’aménager certains horaires et consultations pour certains patients. », « Oui, j’ai été formé ou sensibilisé à tel ou tel trouble du neurodéveloppement et je connais. ». L’idée, c’est qu’ensuite, tous les autres applicatifs puissent aller chercher ces données-là qui vont être également en open source. C’est un vrai sujet pour les patients, savoir où aller.

Pauline d’Orgeval : Une des dernières choses aussi sur l’adaptation des consultations, c’est la place de l’aidant. Très souvent, une personne avec handicap, elle a besoin d’un aidant et c’est souvent très mal compris par les professionnels de santé. Il y a des rejets de cet aidant et cela peut provoquer le refus des soins, tout simplement, puisqu’il y a des situations de panique ou d’angoisse. Tout ça doit être aussi mieux compris, mieux anticipé, pour que le soin se fasse dans les meilleures conditions possibles.

Odile Antoine : L’aidant, c’est le meilleur décodeur de la personne. Quand une personne est non verbale et qu’elle ne peut pas exprimer de manière « classique » ses peurs ou ses douleurs, c’est souvent une observation du comportement, un état de base qui change, et il y a des personnes forcément qui connaissent bien la personne, qui va pouvoir dire « Là, il y a un changement de comportement, ce n’est pas normal ». C’est vrai qu’il y a beaucoup de refus des aidants. Il y a un baromètre de mesure de satisfaction des patients sur les lieux de soins. C’est une mesure d’ailleurs qui se fait un peu au fil de l’eau, puisque c’est mis à jour en continu, avec des résultats tous les trimestres sur le site d’Handifaction. J’ai vu récemment qu’on était à 14 % des répondants qui ont vu leur accompagnant être refusé sur les lieux de soins. Dans l’enquête, il y a les structures de ville, mais il y a aussi énormément de structures hospitalières, ce qui est étonnant puisqu’on pensait que c’était un sujet un peu plus acquis. Donc, il y a encore beaucoup de pédagogie à faire sur ce sujet.

J’ai vu récemment qu’on était à 14 % des répondants qui ont vu leur accompagnant être refusé sur les lieux de soins. Dans l'enquête, il y a les structures de ville, mais il y a aussi énormément de structures hospitalières, ce qui est étonnant puisqu'on pensait que c'était un sujet un peu plus acquis.

#hôpitaldufutur : L’inclusivité bénéficie à tous. Quels exemples avez-vous pu observer ?

Pauline d’Orgeval : Ça a été le cas, par exemple, pour l’accessibilité des locaux. C’est vrai que ça a bénéficié à notamment tous les gens qui ne marchent pas très bien et qui n’ont pas de handicap. C’est toujours la même chose : c’est essentiel pour certains patients et il faut le faire sinon, cela les exclut des soins, mais c’est l’ensemble de la société qui en bénéficie.

Odile Antoine : Santé BD a été conçu comme un outil non spécifique. Je pense que la volonté des cofondatrices, c’était de dire « On ne va pas être stigmatisants, on ne va pas faire des outils ou de la documentation pour les personnes handicapées. Il n’y a pas de raison. Simplement, on va se dire que l’on va travailler particulièrement l’accessibilité de son contenu et de sa forme. Ça va être un outil qui sera diffusé largement. »

Pour répondre à une question précédente, vous disiez « Comment vous faites pour faire connaître un peu tout ça ? » Nous, on s’adresse vraiment au grand public, en tout cas, avec santé BD. On passe par la presse grand public, on va intervenir sur des congrès en santé, mais pas forcément spécialisés sur le médical. On va vraiment cibler très large. Est-ce que c’est un outil universel ? Ça, c’était vraiment une question d’une vision de départ, qui, pour le coup, était assez innovante.

Pauline d’Orgeval : C’est la notion d’accessibilité universelle. Ça s’applique à tous les champs. Pour penser à tous, il faut penser à ceux pour lesquels c’est le plus compliqué ou fragile. Ça va bénéficier à tous. Evidemment, ce n’est pas destiné qu’à ces personnes en situation de handicap. C’est pour tout le monde. On prend en compte les spécificités de ces personnes, sachant que chaque handicap nécessite des adaptations totalement différentes. Une personne sourde, une personne déficiente intellectuelle, une personne polyhandicapée : les adaptations n’ont rien à voir.

C'est toujours la même chose : c'est essentiel pour certains patients et il faut le faire sinon, cela les exclut des soins, mais c’est l'ensemble de la société qui en bénéficie.

#hôpitaldufutur : Vous intervenez également auprès des institutions. Est-ce dans le but de faire évoluer les lois ?

Pauline d’Orgeval : Par exemple, on a participé au rapport ministériel de 2013 sur l’accès aux soins des personnes handicapées. Il y a un certain nombre de mesures ou d’idées qu’on portait qui se sont retrouvées dans un rapport ministériel. Et puis, on dialogue énormément avec les institutions. Dans les bonnes pratiques portées par la Haute Autorité de Santé ou par Santé publique en France, on retrouve quand même beaucoup nos outils. Tout ça, c’est de la pédagogie, à la fois relayée par les institutions et dans les bonnes pratiques, sur le terrain. Aujourd’hui, on est plutôt très connus des institutions, mais pas encore suffisamment connus des familles, des médecins, des professionnels de santé au sens large, parce qu’évidemment, ça nécessite beaucoup de moyens que l’on n’a pas, on est une petite structure.

Odile Antoine : Oui, le travail partenarial est extrêmement important et nous permet justement d’augmenter la diffusion en passant par nos partenaires. Il y a un nouveau travail actuel avec l’assurance maladie Ameli. Santé BD, aujourd’hui, est dans Ameli.fr. Il y a plus de 200 BD qui sont référencées. Il y a d’autres projets en cours qui vont nous permettre justement de bénéficier de cette capacité de diffusion qui nous manque. L’objectif à terme, c’est que nos outils soient intégrés dans tous les outils de droit commun, partout, à tout moment que ça fasse partie de la palette d’outils classiques. Le grand public a certainement besoin d’avoir une association comme la nôtre. Être intégrés dans le droit commun est ce qui nous anime. D’une manière générale, faire en sorte que le handicap ne soit plus un sujet. Il n’y aura plus de ministre chargé des personnes handicapées d’ailleurs : si on veut aller encore plus loin, ça n’a pas de sens.

Pauline d’Orgeval : On a un cabinet d’affaires public qui nous aide en Pro Bono, à voir les députés et les sénateurs. En ce moment, il y a par exemple, dans la loi, le sujet de l’accessibilité de l’information. Personne ne réalise, lorsqu’on n’est pas concerné, que les mots en santé sont compliqués, que le fait de ne pas comprendre fait que l’on renonce. C’est une prise de conscience générale, et la santé n’est pas seule concernée. Je pense que toutes les entreprises publiques, j’espère aussi privées, vont à un moment donné s’exprimer pour leurs clients en français facile à lire et à comprendre. Ça va beaucoup plus loin que pour les personnes en situation de handicap, cela concerne une personne sur dix, qui a du mal à comprendre les messages en santé. Il y a quand même un changement de regard. On parle beaucoup d’inclusion, de vivre ensemble. Cela reste encore peut être que des mots, mais maintenant, dans un projet, quel qu’il soit, il faut réfléchir à tous ces patients différents. Et finalement, si on intègre toutes ces réflexions en amont du projet, ce n’est pas grand-chose. Les institutions sont de plus en plus sensibles à ces sujets là et vont l’imposer de plus en plus.

Odile Antoine : Oui, et puis peut être se dire que c’est un droit, l’accès aux soins, à la santé. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de recours par le droit. Les associations commencent à passer par ce domaine-là. Il y a le Conseil de l’Europe qui a aussi été interpellé par ces sujets et a rendu un avis assez négatif sur ce qui se passe en France en termes d’accessibilité. Il faut bien voir que tout ça va forcément faire bouger les pouvoirs publics, puisque l’approche par les droits fait qu’après, il y aura des sanctions. C’est dommage d’en passer par là, mais on le voit bien, sur l’accessibilité numérique, on est en train de passer un cap. Il y a maintenant un nouveau décret qui est passé avec une obligation pour les sites publics, à passer aux normes et à donner leur niveau d’accessibilité. Derrière, on va voir, l’idée c’est qu’il y ait du contrôle.

Personne ne réalise, lorsqu’on n'est pas concerné, que les mots en santé sont compliqués, que le fait de ne pas comprendre fait que l’on renonce. Ça dépasse les seules personnes en situation de handicap : cela concerne une personne sur dix, qui a du mal à comprendre les messages en santé.

#hôpitaldufutur : Pour conclure, comment percevez-vous l’évolution du rôle des associations ?

Pauline d’Orgeval : Il y a quelque chose de réel : je trouve l’État a de plus en plus de mal à faire bouger les choses et donc cela s’appuie sur la société civile, les entreprises et les associations, finalement. Aujourd’hui, pour faire changer la société sur des sujets d’intérêt général, souvent, ce sont les associations qui commencent, qui font émerger et portent le sujet. Une fois que le sujet a émergé, c’est repris, inscrit dans la loi. C’est de plus en plus comme ça que ça se passe. Je ne sais pas si les associations ont changé de place, mais en tout cas, de fait, on joue un rôle essentiel pour transformer la société et pour ne laisser personne sur le côté.

Odile Antoine : Tout à fait d’accord ! Et pour compléter, je trouve que les associations fonctionnent bien quand elles travaillent ensemble. Moi, je le constate et d’ailleurs, c’est ce que les pouvoirs publics attendent aussi, c’est que l’on travaille de plus en plus ensemble et qu’on apporte des solutions collectives. Quand on est arrivé dans le monde associatif, on était assez étonné de voir que chacun essaye de tirer les sujets à soi. Et aujourd’hui, je constate qu’il y a une vraie volonté à travailler à plusieurs sur des sujets. En tout cas, ça a été notre moteur, de ne jamais être plus de dire « C’est nous qui travaillons, c’est nous les spécialistes sur ce sujet. » L’idée, c’est de dire « On va travailler tous ensemble et on va essayer de parler d’une seule voix, le plus possible, auprès des pouvoirs publics. C’est comme ça qu’on sera entendus !

Et puis l’autre point intéressant, c’est qu’on a de plus en plus de personnes en situation de handicap, des usagers. Ils sont partie prenante de ces associations. Aujourd’hui, c’est une évidence. On ne peut plus maintenant parler du handicap sans avoir dans sa gouvernance des personnes directement concernées par les sujets. Ça, c’est vraiment quelque chose qui est en train de monter et c’est une très bonne chose. On voit arriver de nouvelles organisations constituées de presque 100% de personnes en situation de handicap. Il y a plein d’autres genres sans doute, qui deviennent de plus en plus structurés, actifs, et entendus aussi par les pouvoirs publics. Et ça, c’est vraiment lié à cette montée d’autodétermination, d’empowerment…et qui aujourd’hui prennent corps dans le monde associatif. C’est l’évolution que je vois aujourd’hui et qui me paraît extrêmement intéressante pour aussi des acteurs comme l’architecture. Vous allez probablement être amenés à travailler maintenant de plus en plus avec ces structures.

L'idée, c'est de dire « On va travailler tous ensemble et on va essayer de parler d'une seule voix, le plus possible, auprès des pouvoirs publics. C'est comme ça qu'on sera entendus !

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