Catherine Cerisey : Je suis entrée dans la santé car j’ai été malade il y a 19 ans. J’ai eu un cancer du sein dont j’ai rechuté, cette maladie a duré 8 ans. En 2009, les premiers blogs apparaissaient, j’ai lancé le mien sur le cancer du sein : c’était l’un des premiers, il a extrêmement bien fonctionné, 2,5 millions de vues / 1,4 millions de visiteurs. Pour une pathologie qui touche 56.000 femmes par an, cela a vraiment fait bouger les choses. Les journalistes s’intéressaient alors à la parole des blogueurs, impertinente, ils sont venus me chercher. C’était l’époque où l’on mettait le patient « au centre », on m’a donc demandé d’intervenir dans des Congrès « Patients included », cela faisait bien de mettre des patients partout… Puis j’ai été contacté par les Institutions, la HAS, où l’on m’a rétorqué « Vous ne faites pas partie d’associations, on ne sait pas où vous casez. » Je suis entrée dans le milieu associatif, j’ai été vice-présidente de Cancer Contribution, qui œuvre dans le champ de la démocratie en santé, et je suis administratrice d’Europa Donna, la branche française d’une coalition européenne présente dans 47 pays, qui lutte contre le cancer du sein. J’ai intégré les commissions institutionnelles, notamment la HAS, sur l’information du patient et la décision partagée. Au Ministère de la santé, je fais partie du groupe de travail sur le service public d’information sur la santé, qui est le nouveau site santé.fr
On fait plein de choses pour les patients mais sans les patients. Quel que soit l’acteur, que ce soit les institutions, les associations, les laboratoires, les fondations, les hôpitaux. Il n’existait pas d’agence de conseil avec une expérience patient, donc j’ai créé mon agence en 2012. Je suis également patiente-enseignante à la fac de médecine de Bobigny, où j’enseigne auprès des médecins généralistes qui sont en internat, depuis maintenant 3 ans.
On fait plein de choses pour les patients mais sans les patients
#hôpitaldufutur : C’est nouveau, que la voix du patient soit entendue ?
Catherine Cerisey : La France est très en retard. La première fois qu’on parle de décision partagée, de Shared Decision Making, c’est aux USA en 1972 !
Les mots sont révélateurs, et très importants. On a traduit empowerment par autonomisation, en se pressant de supprimer le mot power ; shared décision making, par décision médicale partagée, ce qui crée une confusion terrible, parce que les gens pensent qu’il s’agit d’une décision médicale partagée entre soignants, et non avec le patient. Au sein associatif, on s’emploie à enlever ce terme « médical » pour faire imposer la bonne traduction, « processus de décision partagée ». La Loi Kouchner sur les droits du patient date de 2002, cela fait donc 17 ans. Où en sommes-nous ? On est encore dans une forme de paternalisme médical, en France. On parle du patient à la troisième personne, »mon patient pense, dit, croit etc …. » or il sait penser par lui même et dire « je ».
Dans nos cours à la faculté de médecine, on voit l’évolution du regard du médecin. Ces cours sont co-animés avec un médecin, sur la base de cas cliniques problématiques présentés par les internes,. Dans cet enseignement, on demande les médecins, en stage, a analyser pour chaque cas en plus des données purement médicales, les problématiques sociales et psychologiques du patient,. Dans 95 % des cas, on s’aperçoit que ce qui a posé problème est la communication, de méconnaissance des droits lors de la « prise en soin ». Je déteste le terme de « prise en charge », le patient n’est pas une charge. En anglais on a le care and cure, en français on a la prise en charge… On a vraiment des problèmes de sémantique, alors qu’on notre langue a un vocabulaire extrêmement riche.
La Loi Kouchner sur les droits du patient date de 2002
#hôpitaldufutur : Il y a une question générationnelle qui explique ce paternalisme ?
Catherine Cerisey : Ce rapport ne change pas, car les médecins sont séniorisés lors de leur formation, et ils reproduisent ces mauvaises pratiques… A l’entrée en internat, ils n’ont toujours pas vu un patient au sein de l’enseignement, et quand ils arrivent de l’autre côté du miroir, ils sont perdus… Je pense que les médecins les plus âgés, qui eux ont appris de leurs patients, sont beaucoup plus dans l’empathie que les jeunes qui croient tout connaître.
Les gestes sont aussi importants que les paroles. Le langage du corps a son importance au même titre que les mots.
Les médecins sont réticents à se faire appeler soignants, pourtant ils soignent. La médecine est peut-être le métier le plus hiérarchisé après l’armée ! En haut de la hiérarchie, le chirurgien cardiologue et le neurochirurgien, le cancérologue… et le médecin généraliste tout en bas, puis les infirmières, les aides-soignantes, les brancardiers etc. et au bout de la chaine le patient.
Cette transformation majeure est une chance si on co-construit les choses tous ensemble
#hôpitaldufutur : Si la maladie est au centre, plus que le patient, il est néanmoins un véritable acteur de sa prise en charge. Quels changements observez-vous ?
Catherine Cerisey : La montée de l’empowerment est à mettre en parallèle avec le développement internet. Dans la décision partagée, le préalable indispensable c’est l’information. A l’avènement du web 2.0 et des réseaux sociaux, on a un accès rapide et simple à l’information. Ce qui peut être très gênant pour un praticien. Prenons un exemple : dans le cas du cancer du sein, une reconstruction peut être faite avec plusieurs techniques. Un chirurgien les maîtrise rarement toutes ; or il va proposer celles qu’il maitrise, donc il y a un biais.
Il y a néanmoins beaucoup de fakemed, donc il faut former les gens. Les médecins sont encore trop souvent réticents, « N’aller pas voir les sites ». Les patients iront évidement consulter des sites. Il suffit d’afficher les sites fiables dans la salle d’attente par ex: santé.fr / la HAS / des associations de patients…
Il y a la chronicisation des maladies qui est un facteur de développement de l’empowerment, avant cela les années SIDA ont été essentielles. (Création du Collectif inter-associatif sur la santé (CISS) – 1996). Cela a créé une vague que la loi de 2002 a essayé d’encadrer, avec ses limites. Mais elle a le mérite d’exister, même si elle est peu connue et mal appliquée. Les patients ne connaissent pas leurs droits, les médecins ne connaissent pas le droit des patients, la commission des usagers dans les hôpitaux n’est connue de personne.
Les scandales sanitaires ne font pas toujours évoluer le problème dans le bon sens. C’est moins la fake news que la médiatisation du problème qui pose problème. La médiatisation en santé est souvent réduite à créer du sensationnel, on s’empare d’une nouvelle, on en fait un sujet, sans mesure. En médecine, on doit faire une balance bénéfice – risque, avec des arbitrages complexes. Le patient acteur, c’est donc tout cela, une information pléthorique relativement fiable, malgré quelques erreurs, car peu d’erreurs restent en ligne durablement.
La décision partagée, c’est élever le niveau d’information du patient. Le consentement doit être éclairé, et pour cela le médecin doit s’adapter, ne pas parler en langage médical. « Avez-vous compris? » n’est pas une bonne question ! La bonne question est : « Qu’avez-vous compris? », afin que le patient reformule ce qu’il a compris. Tout ceci demande du temps, me dit-on… Non, ce n’est pas une question de temps, mais de choix.
La décision partagée, c'est élever le niveau d'information du patient
#hôpitaldufutur : Les communautés de patients sont très structurés aux USA, comme « Patients like me », pourquoi cela perce peu en France ?
Catherine Cerisey : « Patients like me », ce sont des patients de maladies rares qui se sont unis en valorisant leurs datas. En France, une société privée s’est d’abord saisie du sujet, et a proposé de le faire pour toutes les pathologies chroniques y compris les plus communes. Il propose des forums, invite les associations et vend les datas ! Cela a donné lieu à un business anarchique, mais a été dénoncé par les associations. Aujourd’hui, il y a donc des plateformes, gérée par des associations Moi patient, Seintinelle, qui travaillent avec les chercheurs en direct. C’est plus cohérent.
#Hopitaldufutur : Quand on sort de l’hôpital, on est souvent encore malade. Comment gérer le suivi ?
Catherine Cerisey : Il existe de nombreuses applications de suivi, toutes insuffisantes : pour adhérer à sa thérapie, il faut un accompagnement. J’ai participé à réaliser le film « Ma vie sous ordonnance », avec dix associations de patients et le soutien de Novartis, consacré aux gens qui ne suivent pas leur thérapie en cancérologie. On a interviewé un généraliste, un cancérologue, des patients, un psychiatre etc …. . On s’en rend compte, c’est seulement une question d’accompagnement. Comment bien accompagner dépend ensuite de chacun. Les applications peuvent fonctionner un moment, tout comme le pilulier électronique. Il existe aujourd’hui des médicaments intelligents, par exemple on a développé un médicament avec une puce intégrée mais pour les schizophrènes, vous imaginez… A nouveau, penser à l’usager !
Pour adhérer à sa thérapie, il faut un accompagnement
#hôpitaldufutur : L’architecture de l’hôpital va traduire son organisation. Dans une vision prospective, quelles observations pourriez-vous partager ?
Catherine Cerisey : Si on souhaite faire du rapport médecin-soignant un véritable partenariat, je commencerai par supprimer, dans les boxes de consultations, les tables avec les ordinateurs, pour rompre cette mise à distance.
L’arrivée à l’Hôpital est souvent terrible. C’est très violent, de croiser des patients dans des états plus graves que le vôtre.
Penser à l’hôpital de demain commence dès le parking. Si on pense à Gustave Roussy par exemple, on ne peut pas se garer ! Pour la Clinique Hartmann, c’est la même chose, c’est à 20 minutes du 1er métro ! Comment on peut penser cela, pour des gens malades ? Un bon parking comporte de nombreuses places pour handicapés, et évidemment on préfère toujours se garer proche du pôle où l’on va, mais sa configuration peut varier selon les organisations.
L’image de l’Hôpital doit évoluer, il faut gommer son aspect médical. Gustave Roussy, cette bâtisse, dès le périf, c’est la première chose que vous voyez. C’est vraiment le « pavillon des cancéreux ». C’est très violent. L’espace d’intervention, de chirurgie, peut rester aseptisé, mais le reste doit prendre un visage plus urbain.
La mixité des usages serait aussi intéressante, car il y a des gens qui passent de longues journées à l’hôpital. J’adorerai y trouver une bibliothèque, une vidéothèque, ou un jardin.
Avec la chronicité des maladies, la médecine ambulatoire, les attentes sont longues, et des séjours d’hospitalisation ont des durées variées. Pour les jeunes patients également, il faut créer des lieux conviviaux pour se retrouver, avec des canapés, des télés, une machine à café, des livres… Pour les patients mais aussi les aidants. Aujourd’hui, les gens amènent leurs smartphones et IPAD, il faut pouvoir se brancher, se connecter.
Il faut gérer les attentes, et pour cela offrir des espaces adaptés, de respiration, comme un jardin. On pourrait imaginer des appels SMS quand c’est votre tour, comme chez IKEA. Cela vous éviterait d’attendre sans bouger dans une salle inconfortable. Etre appelé au moment de sa consultation, c’est se libérer de l’anxiété. Attendre dans un espace subi, c’est être pris en otage.
La lumière naturelle est essentielle. Les salles de chimio où j’allais étaient sans fenêtre, on y reste 4h. D’autres choses sont aussi angoissantes : les portes battantes, les biens nommées!… C’est très violent.
La signalétique, enfin : les grands hôpitaux sont des labyrinthes, c’est très anxiogène. La Maio Clinique aux Usa a développé son application de géolocalisation, c’est très efficace. A Saint-Louis, la signalétique est faite avec des couleurs dans l’intention d’apporter de la gaîté : c’est peu convaincant. A la Pitié Salpêtrière, l’organisation en pavillons est illisible, c’est très difficile de se repérer.
L'image de l'Hôpital doit évoluer, il faut gommer son aspect médical
#hôpitaldufutur : Comment introduire de la mixité, faire cohabiter les publics ? Être dans un circuit de mêmes pathologies ?
Catherine Cerisey : C’est très violent de croiser des patients atteints plus gravement. Doit-on pour autant cacher la gravité, comment personnaliser les accès ? Il faudrait pouvoir conserver des repères, en les adaptant. L’anxiété est permanente. Quand vous attendez des résultats au milieu de malades plus atteints que vous.
Il y a l’odeur, aussi, qui reste en mémoire, traumatisante.
C'est très violent de croiser des patients atteints plus gravement. Doit-on pour autant cacher la gravité, comment personnaliser les accès ?
#hôpitaldufutur : Même si la perception est intimement liée à chaque maladie, la gravité est présente à l’Hôpital. Comment en tenir compte ?
Catherine Cerisey : Il y a la gravité du lieu, et la dignité. Vous perdez votre corps quand vous entrez en soin. L’exemple majeur est celui des blouses ouvertes, qui n’ont aucune explication ! C’est le comble de l’indignité.
Les espaces confinés des box ambulatoires sont terribles : un proche ne peut être à vos côtés pour attendre. A l’Institut Curie, vous entrez dans un box de consultation par un déshabilloir. Vous vous y déshabillez et attentez, puis la porte s’ouvre d’un coup et vous faites face à l’équipe médicale, en partie nu. C’est la même chose pour les radios. En médecine de ville, un praticien a son paravent, cette ergonomie a une importance énorme !
La question importante est celle de l’évaluation des hôpitaux. Il existe 2 systèmes : le système Isatis, mené par la HAS, via un questionnaire envoyé aux gens qui ont été hospitalisés dans l’année. Environ 4% des patients répondent réellement, cela a donc peu de valeur représentative. Récemment, un usager a initié le site Hospitalidée : il s’agit de la notation des espaces de santé par les usagers et les internautes. Cela a été très décrié, soit disant car les patients n’allaient s’exprimer que sur les caractères hôteliers, la nourriture de l’établissement, ou autres détails. L’ambition de son créateur était au contraire de faire remonter les informations, pour améliorer la qualité et la sécurité des soins, et de créer une montée en compétences des établissements. Le site est en ligne, mais les freins sont réels. Un site anglais, NHS Quality, est un autre exemple intéressant.
Il y a la gravité du lieu, et la dignité. Vous perdez votre corps quand vous entrez en soin
#hôpitaldufutur : Et le privé ?
Catherine Cerisey : Ils ont évidemment leur approche « Client », c’est différent, mais ils ne veulent pas être notés non plus.
Mais le vrai choix, pour un patient, c’est évidemment celui de la qualité du soin, et donc du médecin. Comment aujourd’hui a-t-on accès aux informations, quels sont les critères ? Il est difficile d’avoir les retours de patients, c’est très opaque et l’orientation vers un spécialiste ou un centre repose la plupart du temps sur la parole d’autres médecins ou le bouche à oreilles si vous êtes chanceux : cela peut créer un biais.
#hôpitaldufutur : L’évaluation par les PREMS (Patient-reported experience measures (expérience utilisateur) et les PROMS (PROMS (Patient-reported outcomes measures – résultats clinique) ouvre de nouvelles perspectives ?
Catherine Cerisey : Les PREMS pourront être intéressant si on implique les utilisateurs dans la construction des évaluations et de leurs critères, pour avoir leurs véritables retours sur la qualité de vie, la motricité, l’expérience des patients dans les établissements. Une véritable co-conception, en sorte.
L’évaluation pose cette question fondamentale : le patient est-il un acteur, ou un client ? Si le patient est seulement un consommateur ou un client, alors on verra se développer une ubérisation de la médecine, et sa notation !
Le patient a la liberté de choix, il n’y a pas de raisons que quelqu’un d’étranger au monde médical n’ait pas accès à l’information, elle doit être partagée sur Internet. La première étape est déjà d’informer sur la possibilité de choisir son hôpital, qui est méconnue. A Paris, l’offre de soins est importante, le choix est possible, en Province c’est plus compliqué, il y a des inégalités par le territoire. Nous avons en France un modèle extraordinaire qu’il faut défendre et préserver.
Synthèse de la Conversation #2, 7 novembre 2019.
Nous avons en France un modèle extraordinaire qu'il faut défendre et préserver