Architecture pour les chercheurs – L’Hôpital du futur, pour quel(s) chercheur(s) ?

Conversation#3

avec Jacques Grill

Jacques Grill est médecin-chercheur, responsable depuis 2011 du programme Tumeurs cérébrales au sein du département de cancérologie de l’enfant et de l’adolescent de Gustave Roussy, et du comité de pathologie pédiatrique et de la recherche clinique et translationnelle de ce département. Il est également responsable d’une équipe INSERM sur la Génomique et l’Oncogénèse des Tumeurs Cérébrales.#hopitaldufutur l’a invité afin qu’il témoigne de l’évolution des pratiques de la recherche clinique et translationnelle à l’hôpital et des attentes des chercheurs relatives à son organisation.

Jacques Grill : J’aurais une double vision, de par mon rôle de pédiatre. Hormis les grands hôpitaux pédiatriques parisiens, l’Hôpital n’est pas la place de l’enfant. Les espaces sont non conçus pour les enfants d’une manière générale. Il y a un vrai sujet. Et puis, sur la maladie chronique, le cancer, qui modifie le rapport à la maladie. C’est une maladie où l’on sort beaucoup de l’hôpital. Mais même guéri, on ne redevient pas comme avant, et on a un suivi très long.

En matière de recherche, je suis peut-être influencé par ma propre pratique, mais j’ai tendance à penser qu’on ne peut concevoir l’hôpital sans recherche. La recherche fait partie du processus de soin. Les parents et les enfants souhaitent participer à la recherche. Ils sont contents quand on leur dit qu’ils vont participer à une recherche, que ça va les aider à avancer, qu’on va mieux les soigner eux mais aussi que ce que qu’on apprendra grâce à eux aidera à mieux soigner plus tard.

La recherche ne se limite plus au laboratoire, ce n’est plus du tout comme cela, les chercheurs sont plus nomades. On a de plus en plus d’études en vie réelle, où l’on va essayer d’obtenir des informations directement auprès des patients, sur leur vécu avec la maladie, les effets secondaires, etc. L’espace physique des analyses est ainsi extrêmement éclaté, répartis entre plusieurs lieux. Par exemple, on est allé faire passer des tests cognitifs dans les classes, on est allé dans une école où l’un des enfants avait eu une tumeur au cerveau, on a évalué des enfants en contexte écologique, avec tous les autres enfants de leurs classes. Et on a pu démontrer que les enfants qui avaient une tumeur n’étaient pas ceux qui avaient le plus de difficultés. Dans la recherche, la question est surtout, « Comment on récupère les informations en vie réelle ». Si l’on veut savoir la tolérance à l’effort d’un patient, le mieux n’est-il pas d’aller le voir directement quand il est à la gym ?

L'Hôpital n'est pas la place de l’enfant. Les espaces sont non conçus pour les enfants d'une manière générale, c'est un vrai sujet

#hôpitaldufutur : Quel est le portrait de la recherche à l’hôpital ? A l’IGR, comment ça se passe ? et quelles sont les différences entre recherche clinique, translationnelle, fondamentale ?

Jacques Grill : Je déteste saucissonner la recherche en sous-parties : recherche fondamentale, recherche clinique et recherche translationnelle. Parce qu’une vraie recherche doit avoir ces 3 composantes. Si la recherche fondamentale n’a pas une application vers la clinique, elle n’a pas forcement sa place dans l’hôpital, qui est réservé aux gens qui travaillent sur un même sujet. On intègre toujours ces 3 composantes, mais ils se déroulent dans des lieux différents. La recherche fondamentale va se faire au sein d’équipes mélangées, et pas nécessairement dans l’hôpital. On va par exemple travailler avec NeuroSpin, sur le plateau de Saclay, avec des gens de l’Hôpital Necker et avec des statisticiens qui sont dans un autre hôpital. C’est une structure éclatée. Ensuite, il y a les aspects translationnels : là on est beaucoup plus proche de l’hôpital, il va y avoir un bénéfice à la proximité des acteurs. Enfin, la recherche clinique est complètement dans l’hôpital, avec des personnes qui viennent faire leurs recherches dans l’Hôpital. La recherche translationnelle, c’est celle qui se fait avec un échantillon du patient, le sang, les cheveux, une biopsie, un prélèvement, etc… Quand on fabrique un modèle dans un laboratoire, avec des cellules ou des souris, c’est la recherche fondamentale. La clinique, elle se fait au lit du malade. La recherche translationnelle relie une caractéristique biologique à un comportement du patient. Par exemple, on développe un test, à l’heure actuelle, qu’on va breveter, qui permet de prédire la probabilité que le patient développe des métastases. C’est clairement de la recherche translationnelle. Mais je comprends votre difficulté à faire la différence, car cette distinction est très artificielle. C’est pour cela qu’une meilleure définition de la recherche translationnelle serait plutôt « intégrée ».

La recherche translationnelle relie une caractéristique biologique à un comportement du patient

#hôpitaldufutur : Comment le patient participe-t-il à la recherche ?

Jacques Grill : Pour eux, c’est un espoir. De mon expérience, mais c’est vrai que je travaille sur des sujets très graves et que ce n’est sûrement pas vrais dans tous les domaines, il y a beaucoup plus de patients malheureux parce qu’ils ne peuvent pas participer à une recherche que l’inverse. Avec la recherche, leur souffrance et peut-être leur mort ne serviront pas à rien, prennent un sens. Le patient devient l’acteur de ses soins et un acteur dans la recherche. Une équipe de recherche comme la mienne, qui travaille sur un domaine extrêmement petit_ très important pour ceux qui sont atteints mais petit sous l’angle de la santé publique_, cette équipe a été complètement portée à bout de bras par les patients et les parents pendant 10 ans, et financée par les parents. Maintenant, elle est financée par l’INSERM, donc j’ai une équipe, mais pendant 10 ans, c’était les parents qui disaient, « Nous, on veut de la recherche ». Mon mentor, qui s’appelle Mark Kieran, à Boston, rappelle toujours  « Learn from every patient ». C’est un des motto de mon métier que je préfère, c’est aussi une manière de respecter le patient et sa maladie. Je ne lui applique pas un traitement lambda et une recette que j’ai dans le tiroir, mais j’essaie d’apprendre de lui. Et si j’essaye d’apprendre quelque chose, je m’implique beaucoup plus.

Le patient devient l'acteur de ses soins et un acteur dans la recherche

#hôpitaldufutur : Peut-être que le traitement du cancer est très particulier, ou est-ce qu’il y a autant de motivation et d’implication du côté de tous les chercheurs ?

Jacques Grill : Oui j’en suis sûr, mes collègues qui travaillent sur la mucoviscidose ou les épilepsies graves par exemple, c’est comparable. Si on parle Hôpital, aujourd’hui, c’est devenu tellement difficile et exigeant pour les personnels, que si on n’a pas le métier chevillé au corps, on ne tient pas. Pour moi, c’est une évidence. Pour nous, les gens de ma génération, qui avons connu un hôpital moins difficile, ce qui nous a fait rester, c’est la recherche. C’est-à-dire la possibilité de comprendre, d’aiguillon permanent. La recherche, c’est aussi très valorisant pour les personnels de l’Institut. Pour les infirmières, aussi. La recherche est quelque chose qui (re)tient les gens.

La recherche, c'est aussi très valorisant pour les personnels de l’Institut, elle (re)tient les gens

#hôpitaldufutur : Il y a la nécessité d’aller vers plus d’intégration entre les missions de soin et de recherche. Est-ce que cela implique une nouvelle façon de penser la relation entre le soignant et le chercheur, et d’organiser les équipes autour du malade ?

Jacques Grill : Le système français est différent du système américains ou anglo-saxon. Aux US, un médecin impliqué dans la recherche passe 80% de son temps en recherche, 20%auprès du patient. En France ça n’existe pas ce genre de poste. Mais avoir une personne qui fait du 50/50, c’est compliqué. Moi je passe 1 jour par semaine dans mon équipe de recherche, où j’ai 15 personnes, soit 20% de mon temps officiel.

La proximité géographique entre les lieux aide beaucoup, c’est la clé de cette intégration du travail du médecin. Mon labo est juste en bas, j’ai juste à traverser une petite rue et un parking, et je suis avec mon équipe de recherche. Si j’ai du temps qui se dégage dans une journée, je peux y passer. Pour pouvoir faire cette intégration,   cette proximité est nécessaire. Ensuite, il y a l’aspect organisationnel, il faut créer une dynamique au sein du service. Moi, je mange trois fois par semaine avec mon équipe, on en profite pour discuter. Car je dirige une équipe INSERM mais je n’ai pas la compétence du chercheur INSERM. C’est-à-dire, je ne suis plus au fait des techniques, je ne fais pas la recherche moi-même, et la proximité est nécessaire.

La proximité géographique entre les lieux aide beaucoup, c'est la clé de cette intégration du travail du médecin

#hôpitaldufutur : Quelle est la place de la recherche dans votre quotidien de médecin ?

Jacques Grill : La recherche se fait sur les malades que je soigne. Ce que le médecin apporte  à la recherche, c’est la connaissance de la maladie. Il la partage avec une équipe de recherche, il choisit là où il peut apporter sa contribution. Le nerf de la guerre, c’est de constamment penser recherche.

Ce que le médecin apporte à la recherche, c’est la connaissance de la maladie

#hôpitaldufutur : Associer recherche et clinique, c’est être à la fois dans un souci immédiat d’amélioration de la santé du patient, tout en essayant de répondre à un besoin de meilleure compréhension de la maladie à long terme ?

Jacques Grill : La clé, c’est de penser recherche tout le temps. La biologie sait analyser l’anomalie, c’est sa grande supériorité sur la mécanique par exemple. C’est le grain de sable permet de comprendre. Au laboratoire, ce que je reproche aux étudiants, c’est de ne pas analyser pourquoi cela n’a pas marché, car c’est souvent cela qui mène sur des pistes de découvertes. C’est très médical de s’intéresser à ce qui n’a pas fonctionné.

La clé, c'est de penser recherche tout le temps

#hôpitaldufutur : Au regard de votre expérience quotidienne, quelles seraient les clés d’amélioration à Gustave Roussy ?

Jacques Grill : J’ai travaillé dans plusieurs hôpitaux. Gustave Roussy, qui date des années 80, est un bâtiment complétement obsolète, en étages. Je n’y perds plus de temps dans l’ascenseur car je prends les escaliers. A Robert Debré, qui est pour les archis un bâtiment référence, on remplace l’ascenseur par la marche, sur des kilomètres. Dans les bâtiments pavillonnaires, on se retrouve isolés. Ils sont peu propices aux échanges, chaque service est dans sa « maison ».

C’est pour cela qu’il n’existe pas une unique solution ! Je pense qu’un hôpital « Hors les murs » serait peut-être une façon d’éclater ce problème-là. A Gustave Roussy, les patients viennent nous voir en voiture. Quand la prochaine gare sera là, ce ne sera pas facile pour autant pour les patients alités. Ils n’arrivent pas à trouver de place, ou viennent en ambulance et cela coute une fortune. Ils viennent souvent pour 10 minutes, puis ils repartent parfois loin. Pour moi, ce système est délirant, en matière de moyens, de temps, et d’empreinte sur la planète ! On ne peut pas se permettre de continuer comme cela.

Comment arrivera-t-on à décentraliser nos actions ? Par exemple on a des patients qui viennent du 95, ils peuvent mettre 2h pour venir. Si pas exemple, on crée des permanences dans les villes, on résout le problème. Sur une grande ville comme Paris avec de telles problématiques de transports, on ne peut pas continuer à vivre avec une telle centralité de l’hôpital.

Pourtant, tout le monde veut être soigné à Gustave Roussy, car c’est le plus grand hôpital européen de cancérologie. Il a 400 chercheurs et 4000 soignants, soit environ 1 chercheur pour 10 soignants. Et les gens ont tendance à personnaliser la relation avec le médecin. Mais cette centralité n’est pas tenable. Par exemple, si on me disait d’aller une fois par mois à Pontoise ou à Bondy, ce serait peut-être utile ? Cela couterait moins cher de faire se déplacer 1 personne plutôt que 10 patients pour leur consultation. Déplacer les équipes de soignants plutôt que le patient aurait un vrai impact sur le cout de la santé. Je n’ai pas pour autant envie de le faire toutes les semaines, mais réfléchir à ces solutions serait utile. Aujourd’hui, je fais quelques consultations avancées, mais ce sont plutôt des regroupements entre collègues. Par exemple, je vais toute les semaines à Necker, pour des RCP, où l’on se concerte avec le chirurgien qui a opéré le patient.

Faire bouger une personne, quand bien même c’est un professeur, cela couterait moins cher et aurait un véritable impact sur le coût. On a un système de santé qui a sa valeur, mais pour le préserver il faut qu’on arrive à faire des économies pour rendre le système plus efficient, sans rien lâcher, car cela c’est insupportable, on ne le veut pas. Pour faire une consultation, je n’ai besoin de rien, d’aucun matériel lourd. Déplacer ma consultation dans un autre hôpital serait très facile. Les examens sont faits avant, en ville ou à l’hôpital.

Déplacer les équipes de soignants plutôt que le patient aurait un vrai impact sur le cout de la santé

#hôpitaldufutur : Comment se déroule une consultation ?

Jacques Grill : Le temps de la consultation est un moment privilégié, d’échanges, où l’on sort les patients de leur chambre d’hospitalisation pour les recevoir sur le plateau de consultations. C’est le temps réservé pour exprimer des choses, raconter ce qui s’est passé depuis la précédente rencontre. Sur le plateau des consultations, on mutualise des ressources, salles, secrétariat.

D’autres rencontres se font avec les équipes de la recherche clinique. Le patient aime bien rencontrer le chercheur, mais le voit dans des moments exceptionnels, privilégiés, on organise des évènements sportifs pour collecter des fonds par exemple. Certains chercheurs rencontrent aussi directement les patients. Par exemple, nous avons des chercheurs en sciences sociales qui font des interviews, ou des chercheurs en neurosciences pour des tests.

Le patient aime bien rencontrer le chercheur, mais le voit dans des moments exceptionnels, privilégiés

#hôpitaldufutur : Pour l’hospitalisation des enfants, quelles seraient les améliorations à faire ?

Jacques Grill : A Gustave Roussy, le 9eme étage n’est plus comparable aux autres étages, nous avons entièrement reconfiguré la pédiatrie, petit à petit : les espaces, la déco, les chambres pour la mettre en adéquation avec l’évolution des pratiques. Tous les 2 ans, on refait une aile. Pourtant, on est contraint par un système constructif qui est très restrictif et nous interdit beaucoup de choses.

Gustave Roussy est trop petit : 12 lits par doigt, 4 doigts, et le bras où sont rassemblés locaux techniques et bureaux des médecins. Mais nous n’avons pas assez d’espaces pour réunir les patients et accueillir les activités qui seraient nécessaires. La problématique pédiatrique est différente selon chaque tranche d’âges. Pour les petits, c’est mère-enfant. On crée donc des espaces pour accueillir un parent aux côtés de son enfant. Pour les ados, on a créé un espace réservé, le « Squatt », où eux seuls entrent. Mais notre principal problème, c’est que c’est trop petit. Je connais les services de l’Hôpital d’Utrecht, le Princess Maxima Centre, aux Pays-Bas, ils ont par exemple un auditorium où ils font venir des chanteurs, des conférenciers.

Aujourd’hui, les associations de patients ont un impact sur la recherche et sur la vie de l’hôpital beaucoup plus important. D’abord, parce qu’ils amènent de l’argent. Ainsi, plus de la moitié du financement de la transformation des locaux a été amené par des associations. Et pour elles, il faut penser un retour. On a ainsi créé un espace qui est presque une MJC. Il y a des associations de malades, liées au Cancer,  mais également, en pédiatrie, des associations sur les maladies rares. Elles viennent à l’Hôpital, veulent savoir ce qui est fait dans la recherche, connaître les avancées, ce qui a été fait avec les donations, mais aussi faire remonter auprès des chercheurs des problématiques qui les concernent. J’ai participé au Picri (Partenariats Institution-Citoyens pour la Recherche et l’Innovation), un programme de partenariat en Ile de France entre des citoyens, associations de malades, et des équipes de recherche. Pour les enfants, ils nous ont demandé de travailler sur le délai diagnostic. Cela ne me serait pas venu à l’esprit, seul, d’abord car je n’y peux pas grand-chose, et parce que les patients de Gustave Roussy arrivent une fois diagnostiqués. C’est une problématique qu’ils nous ont fait découvrir. Ce délai diagnostic dure souvent des mois, et est extrêmement douloureux car les patients et surtout les parents ont l’impression d’avoir été négligents, ou incompétents.

Aujourd’hui, les associations de patients ont un impact sur la recherche et sur la vie de l’hôpital beaucoup plus important

#hôpitaldufutur : Cela renvoie au partage d’informations par les patients, à leur niveau de savoir ?

Jacques Grill : Dans notre hôpital, il y a une application, sur smartphone avec lien vers le dossier patient. Le patient a accès à tout ce qui est écrit par le médecin, au-fur et à-mesure, il y a une transparence totale. C’est d’ailleurs parfois embêtant, pour le médecin, car on n’y a pas été habitué. Le patient nous demande alors « Docteur, vous avez écrit cela dans mon dossier, mais on n’en a pas parlé… ». D’autres patients arrivent aussi parfois en consultation avec le dernier article paru dans Nature, qui vient de sortir et que je n’ai pas encore eu le temps de consulter !.. Notre système permet aussi au patient de se signaler dans un registre, pour donner des informations en vie réelle. Par exemple sur des questions de pharmacovigilance, et les laboratoires pharmaceutiques veulent évidemment avoir accès à ces informations, qui sont heureusement protégées. Sur ces questions, les patients sont très concernés, plus impliqués, et leur réaction est évidemment plus rapide que celle des médecins pour lesquels cela requiert beaucoup de démarches.

Le patient a accès à tout ce qui est écrit par le médecin, au-fur et à-mesure, il y a une transparence totale

#hôpitaldufutur : Ce système est donc de plus en plus collaboratif, sur de nombreux sujets ?

Jacques Grill : Oui, le patient est aujourd’hui véritablement acteur du soin et de la recherche. Par exemple, l’autopsie c’est quelque chose qu’on fait extrêmement rarement en France à un enfant, sauf pour des questions criminelles. Mais parfois des parents donnent le corps de leur enfant, pour faire une autopsie. Ils le font pour qu’on trouve quelque chose et qu’on donne une explication. Ils sont à tel point impliqués dans la recherche qu’ils sont prêts à faire une donation du corps. Les associations sont essentielles, et l’activité de recherche en est très dépendante. Mais cette intrusion est intéressante, elle amène d’autres questionnements. En ce qui concerne la pédiatrie, ce qui est ciblé aujourd’hui, c’est connaître l’origine de la maladie, d’où ça vient. Pour les cancers des adultes, c’est souvent lié aux modes de vie, fumer ou s’exposer au soleil… Pour l’enfant, on n’a souvent peu d’explications. Les associations poussent la recherche dans cette direction.

Les associations sont essentielles, et l’activité de recherche en est très dépendante. Mais cette intrusion est intéressante, elle amène d'autres questionnements

#hôpitaldufutur : Sur le plan prospectif, comment vous voyez l’hôpital de demain ? Est-ce qu’aujourd’hui l’hôpital tel qu’il est conçu remplit bien ses usages ?

Jacques Grill : L’intégration avec la recherche est pour moi une évidence, je vous l’ai racontée comme un fait accompli, et comme je la pratique. Mais mon collègue à La Timone, à Marseille, il ne peut pas travailler comme cela. Et si cela devient une orientation des programmes actuels, c’est bien parce que cela n’existe pas ! Les gros campus et instituts de recherche ne sont pas dans les hôpitaux. Cette intrication n’est pas du tout la règle. On a des progrès à faire. Et ensuite, c’est quelque chose qui rejaillit forcément sur les mentalités. Certains médecins ne veulent plus faire que de la recherche, d’autres restez au chevet du patient, donc on aboutit aussi à des systèmes qui ne se croisent plus. Si on a les moyens de mieux interpénétrer les 2 systèmes, on aura plus de personnels hybrides, qui pensent recherche au milieu de la journée de soin, au milieu d’une consultation.

Si on a les moyens de mieux interpénétrer les 2 systèmes, on aura plus de personnels hybrides, qui pensent recherche au milieu de la journée de soin, au milieu d'une consultation

#hôpitaldufutur : A Gustave Roussy, les plateaux et des laboratoires de recherche sont partagés ?

Jacques Grill : Nous avons 2 grands bâtiments de recherche, les espaces sont regroupés, mais non partagés. Cela amène à cette autre question, comment se croisent les chercheurs ? Avoir un amphithéâtre, des conférences, c’est déjà un début pour créer des contacts. La cafétéria, si elle comporte 3 tables, 10 chaises et 2 distributeurs automatiques, ne va pas rallier les chercheurs. A Stanford, sur le campus, il y a un mall avec une offre de restauration qui fait que les chercheurs vont déjeuner ensemble, se croisent…Et le chercheur en radiophysique y croise celui en immunologie, ils échangent. Je connais peu d’endroit où cela existent. Le Rolex Center, à Lausanne ? Je suis sûr que cela marche, grâce à ces espaces de convivialité, gratuits.

J’ai bien aimé comment vous avez commencé cette réunion, en disant : on se donne des moments pour penser et avancer. Ce luxe-là, on ne se le donne pas à l’Hôpital. Finalement, les seuls moments où je peux « penser », c’est quand je suis c’est à un congrès, où je m’extirpe.

Comment se croisent les chercheurs ? Avoir un amphithéâtre, des conférences, c'est déjà un début pour créer des contacts

#hôpitaldufutur : Le médecin doit-il croiser les patients, ou rester dans un entre-soi ?

Jacques Grill : Si je veux croiser des patients, je vais à la cafétéria publique, et si je ne veux pas, je vais à la cafétéria du personnel. On a parfois besoin de pouvoir s’extirper, on ne peut pas tout mélanger. Par exemple, si j’annonce une nouvelle grave à une famille, et qu’ensuite ils me voient discuter naturellement avec mes collèges, ce serait très mal compris. La rencontre avec les patients, elle a ses lieux propres. Dans le hall de Gustave Roussy, il y a un piano et parfois des rencontres entre malades et patients autour de la musique.

La rencontre avec les patients, elle a ses lieux propres

#hôpitaldufutur : Aujourd’hui, la recherche à l’hôpital public reste-elle attractive en France ?

Jacques Grill : Le système français attire des gens car il offre une forme de rente, c’est un choix de vie, mais les chercheurs sont mal rémunérés. Beaucoup restent par idéal. Aujourd’hui, le système reste concurrentiel car le nombre de postes a été très réduit, on est passé de 10 à 1. De même pour les budgets de recherche. Mon travail de recherche existe car il a été soutenu par les associations. Et je suis au contact direct de mes « clients », je le dis exprès, sans sens mercantile : les associations y ont un intérêt direct, et nos équipes de recherche sont au contact direct des gens qui ont un besoin crucial de leur travail. Par comparaison, aux USA, les chercheurs sont mis en concurrence et amenés à courir en permanence derrière les financements, le système est extrêmement dur.

Mon travail de recherche existe car il a été soutenu par les associations

#hôpitaldufutur : Comment faire évoluer l’environnement de l’hôpital pour être attractif, bonifier son image ?

Jacques Grill : Ce que je regrette beaucoup dans les hôpitaux, aujourd’hui, c’est le manque d’espaces gratuits. A l’heure actuelle, quand on fait une expo de dessins des ateliers, on le fait dans le hall, car il a une certaine ampleur. Ensuite, il faut que l’organisation de l’hôpital s’adapte également, et notamment pour accueillir les associations.

J’ai bien vu comment le comportement des gens est impacté par l’espace. Pendant un temps, notre hôpital de jour n’était pas dans un des 4 doigts du service, alors que le bureau des médecins y était. On avait une déconnexion, un manque d’informations sur l’hôpital de jour. On a inversé avec les bureaux, et l’hôpital de jour est redevenu une véritable unité du service. La perception de mes collègues a changé grâce au rapprochement avec les autres unités.

Autre exemple, la salle d’attente est un espace extrêmement violent, difficile à traiter, souvent peu pensée. On a essayé de la positionner devant la salle MJC, pour mêler l’attente à la vie du service. On y a mis des canapés : je ne suis pas sûr qu’ils durent 15 ans, mais ils permettent plus de liberté.

Ce que je regrette beaucoup dans les hôpitaux, aujourd'hui, c'est le manque d'espaces "gratuits". J'ai bien vu comment le comportement des gens est impacté par l'espace

#hôpitaldufutur : La présence du végétal ?

Jacques Grill : Vous les architectes, votre hantise, ce sont les pompiers. Nous, c’est l’hygiène. Par exemple, je suis sûr qu’il n’y a aucun souci pour avoir des animaux, pourtant dans le service, il n’y en a pas. Des consignes sont données au parent, où l’enfant ne doit pas avoir de contacts avec les animaux, car il a un cancer. C’est parfois incompréhensible, car je ne connais pas de cas où l’enfant ait eu de maladie grave à cause d’un animal. Le végétal pose aussi un vrai problème d’hygiène, et ce n’est pas simple à gérer. Pourtant c’est aussi intéressant pour les enfants, pour aller jardiner, découvrir des ruches. Tout ce qui peut faire entrer le vivant dans l’hôpital est justifié, mais il faut faire évoluer les règles qui ne sont pas souples. Là aussi, les associations et les familles peuvent jouer un rôle. Je considère que le patient, in fine, est bien le « client » du soin ou de la recherche, et ils ont leur mot à dire.

L’environnement compte. Si pour des raisons de budget, on se dépouille de tout, l’hôpital deviendra invivable et les gens ne voudront plus y travailler. A Gustave Roussy, je prends l’escalier, mais c’est une horreur. L’espace est terrible, rebutant, non traité. C’est ce que j’appelle « l’espace gratuit » : en faire un lieu, c’est faire un cadeau aux gens qui y vivent, aux personnels.

Tout ce qui peut faire entrer le vivant dans l'hôpital est justifié, il faut faire évoluer les règles qui ne sont pas souples

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