#hopitaldufutur, conversation 31
» Quel hôpital pour une médecine de précision ?
#hopitaldufutur : Norbert Nabet, vous êtes médecin et avez eu un parcours au sein d’institutions, pouvez-vous vous présenter ?
Norbert Nabet : Je suis médecin initialement, médecin de santé publique. J’ai travaillé pendant une petite dizaine d’années avec les professionnels de santé libéraux dans des structures qui n’étaient pas encore les URPS, qui s’appelaient les URML et étaient des réunions de représentation professionnelle de médecins dans les régions. En 2007, je suis appelé au cabinet de Roseline Bachelot sur l’organisation de l’offre sur le territoire et en gros, le projet de loi de finances de la sécurité sociale pour la partie libérale. À cette période, on crée les Agences Régionales de Santé. Sur le modèle des URML, d’ailleurs, on crée les URPS, les représentations professionnelles pour chacune des professions de santé libérales. On installe la tarification à l’activité et c’est le passage administrativement symbolique du soin vers la santé, puisqu’on passe des Agences Régionales de l’Hospitalisation aux Agences Régionales de Santé. On commence à parler de projets régionaux de santé et on intègre globalement l’ambulatoire, la ville, le médicosocial, la prévention. La démocratie sanitaire se développe et on commence à avoir une administration en phase avec la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé, c’est à dire qui considère la santé dans un contexte bien plus large que le soin. Et donc on se donne les moyens d’essayer de l’installer et de la mettre en place.
Ensuite, je pars sur le terrain et je vais créer l’Agence Régionale de Santé PACA. J’en suis directeur général adjoint pendant neuf ans. Et puis je vais en Corse pour être directeur général de l’Agence Régionale de Santé de Corse. De là, je pars à la Mutuelle Nationale des Hospitaliers où je me suis occupé de la partie presse médicale, événementiel, formation et conseil. Et puis, je repars au cabinet d’Olivier Véran, cette fois-ci sur les aspects de santé publique. En gros, c’est à peu près ce qui n’est pas le Covid, pour faire court, dans cette période un peu secouée du système. A la fin du mandat, je suis rentré chez moi et je travaille maintenant dans une startup qui s’appelle Ziwig, qui, à partir de biologie moléculaire et d’intelligence artificielle, met en place les outils d’une médecine de précision dont je comptais vous parler, tant l’impact va être important dans la vie de tous les jours, et évidemment, sur le système global et donc par ricochet sur l’hôpital, étant donné que le système de santé en France est quand même extrêmement centré sur l’hôpital, pour tout un tas de raisons historiques et parfaitement légitimes.
Il va y avoir des modifications, des opportunités à saisir, et pour ça, il va falloir s’en donner les moyens ou pas, accompagner les investissements ou pas. Et puis, au-delà de ça, je travaille effectivement à La Poste Santé Autonomie. Globalement, la mission de La Poste est d’accompagner un système de santé de demain, de mettre ses compétences à disposition d’un système de santé qui fait plus de parcours. Elle prépare la place croissante qu’aura le domicile dans les années à venir, dans le fonctionnement du système de santé : pour des raisons assez simples de démographie, parce qu’ on va avoir de plus en plus de personnes âgées avec des problèmes d’autonomie, mais aussi de pathologies chroniques, et que globalement le mur démographique ne nous permettra pas de continuer d’institutionnaliser tout le monde, il va falloir trouver les meilleurs moyens, en augmentant la qualité, de prendre en charge ces personnes ailleurs qu’à l’hôpital ou dans des domiciles institutionnalisés comme les EHPAD. Et là, on voit tout de suite qu’une des solutions pour essayer de relever ce défi, ça va être d’utiliser des technologies nouvelles qui vont permettre d’armer le domicile avec beaucoup plus de sécurité et de capacité d’intervention. Et on voit aussi qu’il va falloir éventuellement utiliser ces technologies pour transformer la prévention, mais surtout l’art du diagnostic et celui du traitement. On voit poindre tout un tas de possibilités, de droite et de gauche, des expérimentations, des entreprises, des réalisations qui, à la faveur du Covid d’ailleurs, se sont mises en place de manière accélérée, et qui laissent imaginer un avenir sensiblement différent de ce qu’il est aujourd’hui, en termes de paradigmes et de leviers pour répondre aux besoins prévisibles de santé de la population. Cela va entraîner des modifications, cela va être pas mal d’opportunités, et cela peut être aussi pas mal de menaces. Et je pense qu’il y a un intérêt urgent à observer tout ça de manière lucide, en face, et de voir comment, collectivement, on est susceptible d’accueillir le changement, le progrès, plutôt que, pour des raisons corporatistes qu’on partage avec l’ensemble des pays développés, de trouver les meilleurs moyens de se mettre à l’abri du progrès.
Le mur démographique ne nous permettra pas de continuer d'institutionnaliser tout le monde, il va falloir trouver les meilleurs moyens, en augmentant la qualité, de prendre en charge ces personnes ailleurs qu'à l'hôpital ou dans des domiciles institutionnalisés comme les EHPAD.
Une des solutions pour essayer de relever ce défi, ça va être d'utiliser des technologies nouvelles qui vont permettre d'armer le domicile avec beaucoup plus de sécurité et de capacité d'intervention.
Je pense qu'il y a un intérêt urgent à observer tout ça de manière lucide, en face, et de voir comment, collectivement, on est susceptible d'accueillir le changement, le progrès.
#hopitaldufutur : Le développement d’une médecine de précision se fait sous l’impulsion de la biologie et de l’augmentation des données de santé, quelles évolutions impliquera-t-elle ?
Norbert Nabet : Il y a, depuis dix années, un mouvement qui est assez robuste, qui a percuté à peu près tous les secteurs de la vie, qui est l’augmentation considérable des capacités de calcul et évidemment, la capacité de sophistiquer les calculs. Ce qui s’appelle le Machine Learning, ou l’intelligence artificielle, ce qui est en gros une capacité à traiter un montant colossal de données qui fournissent de l’information sur à peu près tout, sur l’environnement, sur les constantes, sur évidemment la biologie moléculaire et le génome, certainement un des axes forts de développement, mais aussi l’activité physique, la domotique, le régime alimentaire, le microbiote etc…. On est capable aujourd’hui de capter énormément d’informations et les calculateurs, les scientifiques, ce qui étaient les biostatisticiens, en tout cas les gens qui manipulent tout ça, sont capables de faire des corrélations nouvelles. Ils sont capables de décrire des mécanismes biologiques nouveaux qui permettent d’imaginer qu’on va réussir à faire des diagnostics en faisant autrement qu’en ouvrant le ventre, qu’en faisant des radios, qu’en faisant des examens.
La startup dans laquelle je travaille, par exemple, propose un test qui fait le diagnostic de l’endométriose, une maladie assez connue et répandue, par l’analyse de la salive. Aujourd’hui, il faut à peu près dix ans, malheureusement, pour faire le diagnostic de l’endométriose. C’est souvent énormément d’examens, d’imagerie, de chirurgie pour chacune des femmes avant d’arriver à un diagnostic, qui reste encore incertain. Et là, cette technique séquence les micro-ARN contenus dans la salive qui sont des régulateurs de la transformation du gène en protéines. Je fais un petit aparté : pour plus de 90% du génome, on n’arrive pas à en comprendre l’expression. On dit que ce sont des gènes non codants, et en réalité, ces gènes codent toute une cascade de régulateurs qui vont faire que l’ADN se transforme en ARN messager, en protéines, et c’est la protéine qui entraîne le mécanisme qui provoque le symptôme, le phénotype, le fait d’avoir de l’inflammation, d’avoir une multiplication complètement anormale de cellules, etc… Tous ces mécanismes biologiques sont régis par ce principe-là, et on arrive, en examinant l’ensemble de ces petits régulateurs, à définir un profil de leur présence : est-ce qu’ils sont sur-représentés ou sous-représentés ? On arrive à faire le lien très clair avec une expression organique, c’est-à-dire avoir ou pas l’endométriose, avoir ou pas un cancer, avoir ou pas un cancer qui se développe ou qui résiste à telle ou telle chimiothérapie, etc… Donc, vous voyez que par cette analyse, qui est faite par des ingénieurs, des scientifiques, un laboratoire va se substituer à tout un tas d’interventions médicales traditionnelles, plus ou moins accessibles sur le territoire, d’ailleurs, puisque c’est assez compliqué d’avoir une IRM. Aujourd’hui, il n’y a aucune limite quantitative à cracher dans ce tube pour avoir ce diagnostic. Et encore une fois, ça va marcher pour le cancer, pour les pathologies cardiaques, pour le diabète, ça marche plutôt bien d’ailleurs. Les recherches sont en cours.
Ça, c’est le côté diagnostic. Ensuite, on a le côté thérapeutique, qui lui est encore plus fou. Il y a énormément de techniques possibles, une fois qu’on a fait le lien. Actuellement, le lien est un peu sur un mode de « boîte noire », c’est à dire qu’on n’est pas aujourd’hui capable de décrire le chemin très précis de l’ensemble de ces régulateurs. Mais ça vient petit-à-petit, pour tout un tas de pathologies, notamment celles pour lesquelles il y a un seul gène. Par exemple, la drépanocytose : il y a un seul gène, c’est une anomalie de la forme des globules rouges qui fait qu’ils sont détruits. Les patients se retrouvent dans des situations d’anémie chronique, systématique, on est obligé de les transfuser, c’est très douloureux, etc. On se rend compte qu’en corrigeant dans le génome l’écriture de l’ADN, on arrive à annuler l’expression du gène, l’expression de la protéine, ce qui fait que les globules ne sont plus déformés et la maladie est supprimée.
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle fonctionne beaucoup sur des modèles classiques connus qui ont déjà manipulé beaucoup de données. Ce sont les modèles des voitures autonomes, les modèles de Netflix pour le choix, les modèles d’Amazon pour la prescription de produits. Les gens qui font de la biologie utilisent ces modèles, les font tourner avec les datas de biologie. Mais maintenant, on commence à avoir des stocks tellement importants que l’enjeu va être de transformer ces modèles de machine learning de l’économie classique pour les adapter au fonctionnement de la biologie. Tout ça va se faire, il y a beaucoup de gens qui travaillent là-dessus. Avec ces modèles, cela va être beaucoup plus précis, beaucoup plus rapide. On va pouvoir collecter beaucoup plus de données, il va y avoir une espèce de croissance, peut-être pas exponentielle, mais en tout cas rapide : une démultiplication des gens qui vont réussir un peu partout à utiliser ces modèles pour certaines pathologies, pour développer des nouvelles drogues ou de nouveaux tests diagnostiques. Comme, dans le même temps, la capacité à transmettre, à robotiser, à faire de la télésanté va se développer, on va rapidement avoir l’ensemble du panel des outils pour envisager des prises en charge complètement différentes. Après, qu’est-ce que la réglementation va autoriser ? Qu’est-ce que la société, dans les différents pays concernés, va choisir de payer ? C’est aussi ça le sujet. Vous voyez, les États Unis ont un arsenal de chercheurs extrêmement performants, beaucoup de patients, la recherche historiquement connectée dans les universités, au MIT, à Harvard, à Berkeley, etc… C’est là que les très grosses recherches, les très grosses découvertes sont faites en ce moment, parce qu’ils ont les patients, les chercheurs, tout ça dans la même boîte. Sauf qu’aujourd’hui, un des plus gros lobbies du gouvernement américain, c’est l’hospitalisation, l’association des hôpitaux et qu’eux, ils veillent au fait que finalement, la télésanté, l’HAD, etc, ne se développe pas forcément plus vite que ça, parce que leur business model, il est sur la journée d’hospitalisation, payée à l’assurance le plus cher possible et qu’ils n’ont pas encore eu le temps de se retourner pour faire fonctionner tout ça autrement. C’est aussi une histoire de droit, une histoire de financement public ou pas, de choix si on veut que tout cela soit accessible à tout le monde ou si ça doit rester réservé à une certaine élite qui, du coup, se le paiera d’elle-même. Toutes ces questions, fondamentales d’ailleurs, dans la mesure où on voit arriver à une perturbation aussi massive dans l’écosystème, soit on les regarde en face, on les accompagne et on essaie d’accélérer le mouvement, soit on y résiste, soit on gère un peu le compromis au milieu de tout ça. Il y a plusieurs chemins, plusieurs attitudes et du coup, plusieurs résultats en termes de déploiement, de rapidité d’accès. C’est un équilibre, un écosystème vivant.
On va réussir à faire des diagnostics en faisant autrement qu'en ouvrant le ventre, qu'en faisant des radios, qu'en faisant des examens.
Par cette analyse, qui est faite par des ingénieurs, des scientifiques, un laboratoire va se substituer à tout un tas d'interventions médicales traditionnelles, plus ou moins accessibles sur le territoire, d'ailleurs.
Maintenant, on commence à avoir des stocks tellement importants que l'enjeu va être de transformer ces modèles de machine learning de l'économie classique pour les adapter au fonctionnement de la biologie.
C’est aussi une histoire de droit, une histoire de financement public ou pas, de choix si on veut que tout cela soit accessible à tout le monde ou si ça doit rester réservé à une certaine élite qui, du coup, se le paiera d'elle-même.
#hopitaldufutur : Quels sont les exemples actuels de cette médecine de précision ?
Norbert Nabet : Il y a déjà pas mal de cancers qui sont traités, les mélanomes, etc. Tout ce qui est traité par immunothérapie, c’est déjà un peu ce principe-là : on rend la défense immunitaire compétente parce qu’on a découvert à la surface des cellules cancéreuses le mécanisme d’action du cancer qui éteint l’immunité du patient et on est capable d’aller corriger ce truc là, ce qui fait qu’on lève cette extinction et du coup, les lymphocytes, la défense naturelle arrivent à avoir la peau du cancer. Et aujourd’hui, cela ne concerne pas tous les mélanomes, mais pas mal, et le cancer du sein, le cancer colorectal… Ça se développe rapidement et en cancérologie, ça va aller très vite. Évidemment, plus on découvre, plus on se rend compte qu’au sein d’une tumeur, il y a différentes lignées de cancer, et donc le sujet est très complexe. Et c’est pour ça qu’il faut beaucoup, beaucoup de données, et beaucoup de données de surveillance. Mais en tout cas, le principe qui est d’observer, d’arriver à trouver le mécanisme, de corriger l’expression, le fonctionnement de la cellule, tout ça, on commence à savoir le faire convenablement et c’est vraiment le sujet du moment. Toutes les semaines, il y a une publication nouvelle.
Il y a des essais cliniques qui maintenant vont beaucoup plus vite, puisqu’avant, on développait des drogues de manière un peu… C’est la « sérendipité », comme on disait, c’est à dire que c’est le hasard qui fait qu’on a trouvé quelque chose qui fonctionne. On a une molécule et on essaie de lui trouver une indication. Alors qu’aujourd’hui, on voit le dysfonctionnement cellulaire de la maladie et on construit la drogue qui vient taper précisément sur ce dysfonctionnement. C’est une logique complètement différente qui s’installe. Du coup, les développements des médicaments vont beaucoup plus vite. Vous voyez, c’était un peu comme le cinéma des années 50 où quand ils sortaient 50 films par an, c’était parfait. Aujourd’hui il y en a des milliers chaque année. On va certainement arriver vers une abondance de traitements personnalisés adaptés à la maladie, qui la corrige et la soigne. Le monde de la pharma subit aussi une disruption majeure de ce point de vue-là.
Aujourd'hui, on voit le dysfonctionnement cellulaire de la maladie et on construit la drogue qui vient taper précisément sur ce dysfonctionnement. C'est une logique complètement différente.
Le monde de la pharma subit aussi une disruption majeure.
#hopitaldufutur : Quels changements des métiers imaginez-vous ?
Norbert Nabet : Aujourd’hui les investissements en Asie, aux États-Unis, et en France aussi dans une moindre mesure, sont devenus complètement colossaux autour de cette activité et tout ça va aller très vite. En revanche, ça implique des nouveaux opérateurs, ça implique de travailler avec des scientifiques, avec des statisticiens. On a besoin des médecins, mais plus pour la même chose. Évidemment, ça va repositionner un certain nombre de professionnels de santé et tout l’enjeu, c’est d’arriver à faire en sorte que ces gens se remettent davantage au service des patients, développent le côté empathique, développent le côté humain. Tout ça est un peu une image d’Epinal, mais moi, je suis assez convaincu que la perte de sens actuelle des professionnels de santé est largement due à tout un tas de tâches qui n’ont pas vraiment grand-chose à voir avec la vocation qu’ils ont pu avoir à un certain moment, de l’administration, de l’organisation, etc. Et que le temps gagné par cette technologie, soit on le redonne aux professionnels de santé pour qu’ils appréhendent le soin et l’accompagnement d’une manière différente, soit on continue à exiger d’eux encore plus de productivité. Et vous voyez que là, on va en fonction de ça, soit on va augmenter la crise des vocations soit on va essayer de la régler petit à petit.
Donc, on va avoir un sujet autour de « Quel métier ? Quelles compétences ? Comment ça fonctionne ? ». De ce travail assez isolé, de colloque singulier, il va falloir passer à quelque chose de beaucoup plus partenarial. Ça va avoir une implication dans le fonctionnement du cœur de l’hôpital, mais ça va aussi permettre une prise en charge beaucoup plus différée, beaucoup plus anticipée, qui nécessitera forcément moins d’interventions technologiques qui justifieront l’hospitalisation. Dans ce même mouvement, on a le développement des capacités de communication, de télémédecine, de monitoring, de suivi. Vous savez que maintenant, on arrive à coller des capteurs qui admettent des ultrasons, qui font de l’imagerie à distance. On fait des choses complètement folles. De là, on peut imaginer que les gens vont pouvoir, pourraient, peuvent déjà dans certains cas, en grande partie rester à domicile. Cela peut être de l’HAD classique en France, que d’ailleurs le monde entier nous envie, on n’est pas en retard sur tout, loin de là ! Aux États-Unis, il n’y a pas d’HAD, par exemple, pour tout un tas d’autres raisons. Donc, ou on a une HAD où on projette encore des médecins qui font des visites et entre temps, et il ne se passe pas grand-chose, ou alors on envisage une espèce d’hospitalisation à domicile qui fait que l’hôpital de demain sera le domicile, parce qu’avec l’ensemble des capteurs, avec une sécurisation de ces transferts de données intégrées, multimodales, qui viennent de l’image, de la voix, des capteurs, de tout un tas de choses, on va réussir à maintenir les gens avec un très haut niveau de sécurité et très fortement connectés à l’hôpital, avec des liens pluriquotidiens, à réussir à les maintenir dans un environnement autre qu’un environnement hospitalier. Ça, c’est potentiellement assez loin devant nous. Il va y avoir beaucoup d’éléments à perturber, à faire évoluer pour avancer vers ça. Je vous invite à jeter un œil à l’établissement sans lits, comme on dit, de la Fondation Mercy aux États-Unis, qui est un établissement dans lequel il n’y a aucun lit. Il y a des médecins, des infirmières, tous les patients sont connectés. Il y a des relations continues avec ces gens, qui sont maintenus y compris en service de surveillance continue, c’est à dire quasiment en réanimation. Après, évidemment, il faut une capacité d’intervention, il faut être capable d’aller à ce domicile pour régler les machines, rebrancher, passer, faire des pansements et des interventions physiques, puisque tout ne se règle pas encore par le codage génétique et que ce ne sera de toute façon jamais le cas ! Pour tout ça, on a un tissu d’intervenants. Moi, je suis assez convaincu qu’on aura besoin de métiers de logistique du domicile, et que ça, il va bien falloir trouver un moyen de le payer, parce qu’on ne peut pas exiger des médecins de l’HAD, des médecins libéraux ou des infirmiers, de faire ce boulot qui n’est pas le leur.
Mais vous voyez, ce sont de gros verrous, qui ne sont pas rien, parce qu’aujourd’hui, personne ne veut payer ça. Le système est très, très difficile à faire évoluer. Ce qui me paraît intéressant de comprendre, en tout cas d’observer, c’est qu’on a toutes ces évolutions technologiques rapides, réelles et efficaces qui produisent une nouvelle réalité, on va dire, une nouvelle possibilité sur laquelle, immanquablement, on aura soit à s’appuyer, soit à faire avec, en espérant qu’on n’ait pas à lutter contre. A la faveur de tout ça va se dessiner un système de santé, à mon avis, fortement différent de celui qu’on a sous les yeux aujourd’hui. Dans son organisation, dans son fonctionnement, dans sa structure, dans la nature de l’offre, on va certainement avoir à gérer, voire à accompagner, voire à anticiper tout un tas de mutations importantes. Si on veut décemment organiser et penser à une prise en charge extra muros, ou en tout cas extra cabinet, si on prend les libéraux, c’est à dire autour du domicile et de l’environnement classique du patient, il va falloir le travailler un peu, cet environnement. Et ça ne peut pas être un sujet de professionnels de santé. Parce que c’est un sujet d’adaptation, de technologie, de liens et de logistique. Le médecin vient au milieu de tout ça, a une intervention ponctuelle, au milieu d’une équipe qui dépend de pas mal d’autres. Il fait une capacité à regarder, à observer, à prévoir, à prédire la survenue des événements critiques et à les anticiper. Tout ça demande un peu d’infrastructures, de logistique, de traitement de données, d’analyse, de discussion avec les ingénieurs, qui sans les médecins, ne font rien non plus : des chiffres non orientés sur la réalité de leur impact en santé n’ont aucune valeur ! Dans cet exercice-là, un ingénieur sans médecin ne trouve pas de solutions, et l’inverse est vrai également.
Qu’est-ce qu’il faut regarder ? Comment l’agencer, le surveiller ? Comment générer des alertes ? Comment intervenir ? Comment passer d’une intervention de correction et de gestion des complications à une intervention d’anticipation et de prévention ? Tout ça, ce sont des questions qui vont qui vont chambouler la pratique, et à mon avis, faire évoluer considérablement la formation des professionnels.
La formation initiale doit changer. Vu la rapidité avec laquelle tout cela évolue, je pense qu’il faut trouver un autre système qu’une grosse sélection, un diplôme et ensuite une éventuelle formation complémentaire, parce que les mouvements vont être beaucoup trop rapides. Aujourd’hui, les ingénieurs qui travaillent avec ces sujets d’IA ou de plateformes, sont des gens qui n’ont pas forcément de formations initiales adaptées à ces sujets, mais ils sont dans une espèce de démarche permanente de travail à plusieurs, en équipe de recherche, qui permet une compétence qui se maintient à jour. C’est une partie importante du travail en lui-même.
Et puis le patient dans tout ça ? Parce que c’est quand même ça le sujet. Quelles sont les interactions ? À quel moment ? Avec qui ? Est-ce qu’il a besoin qu’on lui administre une chimio qu’il ne comprend pas ou qu’on lui pose d’autres questions avant ? Tout cela va retourner considérablement le système. Pas mal de pays se posent la question, et d’ailleurs, il y a un excès d’excellent rapport du NHS sur l’adaptation du système de santé dans son ensemble, formation initiale, continue et organisation, à l’arrivée de la médecine de précision et à ces nouvelles technologies. Je n’ai pas connaissance de ce genre d’initiative en France.
De ce travail assez isolé, de colloque singulier, il va falloir passer à quelque chose de beaucoup plus partenarial.
On aura besoin de métiers de logistique du domicile, et que ça, il va bien falloir trouver un moyen de le payer, parce qu'on ne peut pas exiger des médecins de l'HAD, des médecins libéraux ou des infirmiers, de faire ce boulot qui n'est pas le leur.
La formation initiale doit changer. Vu la rapidité avec laquelle tout cela évolue, je pense qu'il faut trouver un autre système qu’une grosse sélection, un diplôme et ensuite une éventuelle formation complémentaire, parce que les mouvements vont être beaucoup trop rapides.
#hopitaldufutur : Comme pour la transformation écologique, cette transition pose-t-elle la question du cout ?
Norbert Nabet : Ça a un coût, et le problème, c’est que pendant les travaux, il faut que la vente continue, on ne va pas fermer les boutiques. Tous ces professionnels de santé qui, tous les jours, s’attèlent à la prise en charge de la population, il n’est pas question qu’ils se mettent à faire de l’informatique. Ça ne peut pas marcher comme ça ! Donc, il y a un coût, un accompagnement à la transformation, des investissements, des priorités à définir pour la vie de demain. C’est aussi le challenge du gouvernement, qui n’est pas facile. Mais il y a un sujet de souveraineté, voire de souveraineté stratégique, derrière tout ça : on l’a vu avec le Covid, le pays qui sort le vaccin a forcément un atout. Quand on va commencer à soigner des pathologies graves avec des techniques nouvelles, cela fera tomber les autres. Et du coup, qu’est-ce qu’on devient si on n’est pas du tout dans la course et qu’on continue de faire vivre un système ancien ? Ce sont des questions d’équilibre global, et c’est assez comparable avec les sujets de l’environnement, même si les conséquences ne sont pas directement les mêmes, mais c’est la gestion de la transition, c’est certain.
La médecine de demain, ce n’est pas uniquement le fait d’avoir des licornes, c’est aussi le fait d’adapter le monde et le système de santé aux technologies nouvelles qui arrivent. Comment faire pour qu’elles puissent se développer, rapidement, disséminer, qu’on puisse les utiliser et, in fine, qu’on en tire le bénéfice ? Parce que, même si on a un traitement à plusieurs centaines de milliers d’euros d’une maladie, si jamais elle disparaît, ça sera de toute façon toujours plus rentable que l’entretien d’une pathologie chronique, avec tout ce que ça entraîne. Donc, il n’y a pas vraiment de doutes sur le fait que le système est vertueux. Maintenant, selon qu’on accompagne la transition ou qu’on y résiste, ça peut coûter effectivement plus ou moins cher. Si on est capable, en France, de générer tout un tas de produits, de savoir-faire et de technologies, cela nous coûtera certainement moins cher de les utiliser plutôt que d’aller les chercher ailleurs, sachant que tout ça ne fonctionne que sur la base de l’analyse et du recueil de données de santé, qui sont des éléments critiques aussi.
En tout cas, on a plutôt le réflexe aujourd’hui, dès lors qu’on vise des données de santé, d’avoir peur que tout ça soit transféré aux assureurs, plutôt que de se dire « Si on arrive à organiser ça convenablement, on est capable de faire des progrès. » Il y a effectivement une menace, et il faut être très exigeant sur les aspects éthiques, etc. Mais il faut, de mon point de vue, réussir à gérer ça avec suffisamment de souplesse pour que ça n’empêche pas la population de bénéficier de tous les bienfaits de ces techniques qui se nourrissent exclusivement de données. Un traitement personnalisé ne peut s’adapter qu’à la connaissance précise de la personne et pour ça, il faut recueillir, analyser et traiter des données, les comparer aux groupes. Ça, c’est un sujet central.
Il y a un coût, un accompagnement à la transformation, des investissements, des priorités à définir pour la vie de demain.
C'est assez comparable avec les sujets de l'environnement, même si les conséquences ne sont pas directement les mêmes.
#hopitaldufutur : En conclusion, quel serait l’hôpital de demain ?
Norbert Nabet : Il y a pas mal de gens qui disent que l’hôpital de demain, c’est la maison. C’est le domicile des patients, parce qu’ils ont plus de plaisir à y vivre, voire à y mourir et à y être pris en charge, sachant que de toute façon, il y a tout un tas de choses dans la santé qui ne sont pas faisables à l’hôpital, mais qui sont peut-être faisables ailleurs, différemment. Il y a un enjeu à construire des domiciles qui soient susceptibles d’accueillir tout un tas de patients. Peut-être qu’il y a des espaces intermédiaires, pas forcément très médicalisés, qui sont nécessaires. Peut-être que toutes les activités spécialisées purement médicales resteront dans l’hôpital, ce bâtiment technique dans lequel on pourra faire de l’imagerie, de la chirurgie, des interventions, du labo, etc. Je fais souvent référence à cette excellente conversation du programmiste d’Elix, qui présentait le côté data et analytique de la biologie, l’activité diagnostique, les données autour du patient. Ce sont les fameuses couches dont je parlais, qu’il faut maintenant superposer et mettre en relation pour améliorer la capacité de diagnostiquer et de traiter.
Tout ça, ce sont des forces de tension qui sous-tendent le fonctionnement de l’hôpital de demain qui forcément, sera différent : le bâtiment lui-même, la place qu’il a comme tour de contrôle dans le système de santé, les moyens logistiques éventuels qui seront mis à sa disposition…. Je pense qu’on peut imaginer des fonctionnements sensiblement différents de ce qu’on a sous les yeux actuellement dans les années qui viennent. Moi, je trouve qu’il faut se remuer les méninges si on veut que le progrès bénéficie réellement à la population, à tout le monde, et que ça ne soit pas une difficulté supplémentaire à surmonter.
L'hôpital de demain, c'est la maison.
Il y a un enjeu à construire des domiciles qui soient susceptibles d'accueillir tout un tas de patients. Peut-être qu'il y a des espaces intermédiaires, pas forcément très médicalisés, qui sont nécessaires. Peut-être que toutes les activités spécialisées purement médicales resteront dans l'hôpital, ce bâtiment technique.
Il faut se remuer les méninges si on veut que le progrès bénéficie réellement à la population, à tout le monde, et que ça ne soit pas une difficulté supplémentaire à surmonter.