Conversation#25

avec Hugues Brochard

Laboratoires : mutations, spécialisations, évolution de la recherche translationnelle

Hugues Brochard est directeur d’ELIX et spécialiste de la conception de laboratoires de biologie et de recherche. Il évoquera le développement des pôles de biologie au sein des établissements hospitaliers, leurs spécialisations, l’évolution récente des laboratoires (prélèvements, plateaux techniques d’analyse), et les liens entre recherche médicale et soin dans les laboratoires de recherche translationnelle.

#hôpitaldufutur : Hugues Brochard, vous êtes programmiste et conseil, spécialiste des laboratoires. Pouvez-vous vous présenter ?

Hugues Brochard :  Je suis ravi d’être présent ! Je suis donc le directeur d’Elix, une société créée en 2003, basée à Nantes et avec une agence à Lyon, faisant aujourd’hui partie du groupe d’ingénierie Céris, lui-même adossé à un groupe plus important, Orano. Au départ, je suis scientifique, avec un cursus faculté de sciences et de pharma. Très tôt dans les années 90, on a commencé à faire du conseil auprès de laboratoires privés, des petits labos de villes, ce qu’on appelait à l’époque des LABM de ville. A l’époque, ce n’était pas encore regroupé, parce que c’était interdit, on était adossé au CHU de Nantes. A l’époque, SIC-AMO (qui est devenu Icade) est venu nous chercher parce qu’ils avaient du mal avec les programmes de laboratoires. On a été amené à réaliser de plus en plus de programmes, on est donc sorti de l’associatif, pour faire du conseil auprès des laboratoires. Alors, par programme, j’y viendrais peut-être tout à l’heure, ce qui nous intéresse, ce n’est pas forcément la traduction spatiale et organisationnelle, même si c’est indispensable. Ce qui nous intéresse, c’est le diagnostic d’usage, l’organisation, et comment on accompagne les laboratoires pour modifier leur organisation. Et, in fine, on remet un programme technique détaillé qui correspond à un cahier des charges concepteur. Mais c’est tout le travail en amont qui permet véritablement d’apporter une valeur ajoutée à notre travail.

On n'a pas la même approche selon la surface, pour le laboratoire de grand plateau technique de CHU, de 10 000 m², les labos de centres hospitaliers généraux, avec des tailles parfois sous les 1000 m², ou la recherche, qui a un mode de fonctionnement complétement différent, ou encore la recherche privée et les grandes plateformes.

#hôpitaldufutur : On parle de laboratoires, mais cette dénomination recouvre en réalité une grande diversité de programmes, de la biologie à la recherche. Pouvez-vous nous donner quelques repères ?

Hugues Brochard : Déjà, il y a deux grandes familles. On peut d’abord penser à des laboratoires centrés autour de la biologie, mais il n’y a pas que ça. Ça nous arrive d’intervenir pour des laboratoires de physique, de mécanique, d’aéronautique et d’autres domaines. On est alors à peu près dans la même logique de raisonnement, par postes de travail, avec une logique de process. Je vais les laisser de côté, tous ces laboratoires un peu atypiques. Dans la thématique d’aujourd’hui, il y a le laboratoire de biologie médicale, le LABM, qui va se décliner en différentes sous entités. En tant que programmiste, on ne va pas avoir la même approche selon la surface. On va avoir le laboratoire de grand plateau technique de CHU, de 10 000 m² ; on va avoir les labos de centres hospitaliers généraux, avec des tailles beaucoup plus petites, parfois sous les 1000 m². Plus classiques, ces laboratoires-là ont mis plus de temps à évoluer, mais les derniers sont dans la même démarche que les gros plateaux. Enfin, on va avoir la recherche, qui a un mode de fonctionnement complétement différent des laboratoires de biologie médicale. Dans les labos de recherches, il y a des différences : on va avoir les labos de recherche académique, du côté du CNRS, de l’INSERM, de l’INRAE etc. Ils seront tous dans la même logique, c’est-à-dire avec des équipes qui répondent à des appels d’offres qui émanent des ministères correspondants, des équipes qui tournent sur 3 ans sur des thématiques de recherche. Là, on s’aperçoit qu’on a plutôt besoin d’avoir une extrême flexibilité et une évolutivité. On a aussi la recherche privée, dépendante de l’industrie pharmaceutique, avec de grandes plateformes de recherche, par exemple chez Sanofi, chez GSK, Arrow… On en a fait plusieurs. Elles vont être très centrées sur des thématiques particulières, mais là encore, j’y reviendrai, on raisonne toujours sur la même démarche, la technologie de la plateforme. Tout à l’heure, j’essayerai de détailler ce concept-là. On peut atteindre 30 à 40 000m². Dans la cosmétique, on a fait par exemple 40 000 m² de laboratoires pour L’Oréal. Il y a parfois des demandes un peu particulières, quand on est dans des grands comptes. On a aussi des laboratoires de recherche pour de toutes petites entités, même minuscules, pour de la biotech. Comment place-t-on des laboratoires de recherche entre l’incubateur, la start-up et le spin-off ? On ne raisonne alors pas du tout de la même manière. Dans ces laboratoires-là, on peut même travailler soit pour des promoteurs soit des hébergeurs, par exemple des communautés de communes et autres, qui vont mettre à disposition des hôtels d’entreprise typés laboratoires. Toujours dans ces laboratoires privés, on a des programmes de toutes tailles et surtout de capacité financière diamétralement opposées. On ne raisonne pas un laboratoire pour L’Oréal et Servier comme on raisonne un laboratoire pour une startup, et encore moins pour de la recherche académique. On a des ratios qui n’ont plus rien à voir. Enfin, le dernier type de laboratoire de la famille de la biologie, c’est celui du contrôle qualité, le CQ. Ça peut être des usines, des unités de production pharmaceutique avec un laboratoire de CQ à côté, soit encore du petit spin-off, avec des laboratoires de production et à coté des laboratoires de contrôle qualité, immenses. Mais là, c’est très normé : on sait très exactement à l’avance le nombre d’échantillons qui rentrent, le type d’analyses qu’on doit faire, le nombre de lots. C’est-à-dire qu’on a la volumétrie et le type d’analyses. Ce qui est complètement différent de la recherche, où on ne sait jamais trop vers quelle direction on va aller, ou de la biologie médicale en centre hospitalier, où bien évidemment, à l’avance, on ne sait pas exactement quelles vont être les tendances, même si le parcours de l’hôpital nous permet d’y penser. Mais ce n’est pas aussi « productif » sur un LABM que sur un laboratoire de CQ. Voilà pour moi les grandes familles, et à l’intérieur de chacune, on a des modes organisationnels différents. Nous, en tant que programmistes, nous n’abordons pas du tout de la même manière un laboratoire de biologie médicale, qui va répondre à l’usage d’un clinicien qu’un laboratoire de recherche qui va dépendre d’une équipe de recherche, avec des thématiques liées à des appels d’offres.

Dernier élément pour définir ce qu’est un laboratoire : au-delà de toutes ces familles, pour moi, il y a trois grands types de laboratoire. Il y a le laboratoire de diagnostic « in vitro », qui est le laboratoire commun ; il y a le laboratoire « in vivo », et là, « est-ce que l’animalerie on la met dans le laboratoire ou on ne la met pas ? », c’est la grande question. Souvent, l’animalerie, on la met en dessous. Et il y a un laboratoire qu’il va falloir prendre en compte, et que vous n’avez peut-être pas imaginé, c’est ce que j’appelle le diagnostic « in silico », c’est-à-dire du data center, des postes informatiques, et c’est peut-être là où va être toute l’expertise de la biologie de demain, dans le traitement des données.

Il y a trois grands types de laboratoire : le laboratoire de diagnostic « in vitro », qui est le laboratoire commun ; le laboratoire « in vivo », et là, « est-ce que l’animalerie on la met dans le laboratoire ou on ne la met pas ? », c’est la grande question. Et un laboratoire qu’il va falloir prendre en compte, le diagnostic « in silico », c’est-à-dire du data center, et c’est peut-être là où va être toute l’expertise de la biologie de demain, dans le traitement des données.

#hôpitaldufutur : Quelles évolutions des pratiques médicales et de biologie observez-vous ?

Hugues Brochard : Si on doit parler d’évolution, on s’aperçoit qu’on est passé d’une biologie de service, à une biologie de production autour de technologies, pour arriver maintenant à une biologie de traitement des données. Les praticiens sont submergés par les données qu’on est en train de générer. Et la biologie de demain, ce sera la capacité à traiter ces données-là, et non pas à réaliser les analyses. Cela aura une importance immense dans la traduction organisationnelle et spatiale des laboratoires. Pendant très longtemps, on avait des praticiens hospitaliers, puis des techniciens de laboratoire. Il y a vingt ans déjà, on disait, les embauches de demain seront sûrement des ingénieurs, ce sont les nouveaux métiers de la biologie, des ingénieurs qui seront capables de faire tourner des plateformes, une plateforme de biologie moléculaire, une plateforme de chromatographie de masse, une plateforme de méthodes séparatives. Embauchez des ingénieurs, parce que ça va être autour de la technologie ! De plus en plus, on le voit, pour traiter des données c’est ce qu’on appelle de la bio-informatique. Les recrutements de demain vont surtout être là, parce que les ingénieurs ont mis en place des plateformes qui génèrent des données inimaginables. Ça peut être aussi bien de l’image que de la donnée chiffrée, du résultat, c’est colossal ! La médecine de demain va amplifier ce phénomène. En termes d’implications directes sur le bâtiment, cela va avoir un impact considérable. Il va y avoir un besoin sans doute d’un screening très général, si on rentre dans de la médecine prédictive et de profil individuel. Il va falloir screener tout le monde, ça va se transmettre sur des plateformes, et il va bien falloir les construire, puisque les structures actuelles, les CHU, auront du mal à le faire. Est-ce que ça sera du public, du privé ? On n’en sait rien. C’est-à-dire qu’à la fois il va falloir des espaces, construire des labos pour accueillir ces plateformes, et surtout créer des datacenters, utiliser les données en fonction des évolutions de l’intelligence artificielle, traiter tout ça et revenir au patient.

On est passé d’une biologie de service, à une biologie de production autour de technologies, pour arriver maintenant à une biologie de traitement des données. Et la biologie de demain, ce sera la capacité à traiter ces données-là, et cela aura une importance immense dans la traduction organisationnelle et spatiale des laboratoires.

#hôpitaldufutur : De vastes pôles de biologie sont apparu sous l’effet de spécialisation ou de mutualisation, dans les établissements de santé. Quelles sont leurs évolutions ?

Hugues Brochard : Dans mes premiers programmes, dans les années 1995-2000, on était encore sur des laboratoires de services, on avait une biochimie A, une biochimie B, une chimie biologique A… Le labo de service était positionné à côté du service, de médecine, d’hémato … On parcellisait complètement les laboratoires, et il y en avait un peu partout dans l’hôpital. On est arrivé dans les années 2000, à regrouper ces laboratoires. Par exemple, à Angers, un hôpital pavillonnaire, on avait des laboratoires dispatchés un petit peu sur l’ensemble du site. Les gens se baladaient à vélo ou à pied pour aller donner des échantillons, comme à Strasbourg où s’étaient à vélo que les échantillons transitaient, par -15 ! La tendance a été de rassembler les laboratoires, dans une logique de juxtaposition : plutôt que d’un véritable regroupement fonctionnel, on était dans un regroupement spatial, ce qui était censé nous faire économiser de la place. Ils n’ont jamais été capables de démontrer qu’on gagnait de la place, mais c’était le regroupement ! Cela s’est accompagné très vite d’une prise en charge spécifique de l’échantillon, on a commencé à faire une réception unique, Parce qu’au départ, on les regroupait, mais on avait quand même une réception en hémato, une en microbio… Où on nous expliquait que c’était impossible de mutualiser parce qu’il y avait une spécialisation du technicien qui regardait l’échantillon. Ce n’était pas facile d’être programmiste en 1999-2000 ! Ce nouveau concept, on l’appelait la rosace. Ainsi, on a commencé à réfléchir à une prise en charge centralisée, une porte unique. Le clinicien s’adressait au laboratoire, et pas au professeur, puis on a été un peu plus loin, avec la réception unique, enfin on a commencé à réfléchir au pré-analytique commun. Dans les années 2000, on a fait ça à Dijon, à Grenoble, à Strasbourg, dans le nouvel hôpital. On voyait bien que ça commençait à bouger. Et puis, petit à petit, plus ça va, plus on quitte les petits groupes pour se centrer sur la technologie. C’est la technologie qui pose et qui organise le laboratoire, ce n’est plus la discipline. Pour moi, et je pense qu’on va aller de plus en plus dans ce sens-là, l’expertise biologique va être dans la validation biologique, dans la capacité à interpréter une donnée. Dans les derniers programmes qu’on est en train de faire à l’heure actuelle, la discipline n’existe plus. On est sur une réception, un pré analytique, une plateforme très automatisée et ce qu’on appelle le plateau technique réponse rapide, on va y mettre là-dedans de la biochimie, de l’hémato, de l’hémostase, de l’immuno, ou même de la microbiologie, on fait des méthodes séparatives, des protéines …Tout est dedans. Et derrière, on n’a pas ce qu’on appelait dans le temps des labos spécialisés, on arrivait à garder ces biologistes autour de ces thématiques-là. C’est difficile pour eux parce qu’ils ne se retrouvent pas dans les nouveaux programmes. Maintenant on a une plateforme de biologie moléculaire, une plateforme de culture cellulaire, une plateforme de cytométrie, une plateforme d’anatomopathologie, parce que même l’anatomopathologie on ne le raisonne plus comme un laboratoire à part entière. C’est une plateforme avec des sous-plateformes, de l’imagerie, de l’hybridation et de la biologie moléculaire. Ce sont des plateformes interreliées, qui génèrent des résultats, et ces résultats sont traités par des biologistes. C’est là qu’est l’expertise. La couche qui est en train de se passer entre les deux, ce que j’appelais tout à l’heure les datacenters : on s’aperçoit que le traitement des données produit par ces plateformes est en train de faire évoluer encore plus le système. Les ingénieurs gèrent la plateforme, les biologistes gèrent le résultat. C’est une vision, je le constate. Sur des CHU, et je parle là d’exemples de programmes actuellement en train de sortir sur des établissements de l’AP-HP, la notion même de discipline n’existe plus. Si on parle de tendances, c’est ce qu’on est en train de mettre en place. Cela a une importance considérable, car ce qui va être important seront les interrelations. Comment mes techniciens, mes biologistes et mes ingénieurs vont être amenés à évoluer dans cet environnement ? Puisque tout est relié, la biologie moléculaire (« bio-mol ») ne peut plus se passer de l’imagerie et du cellulaire puisque tout s’est interfacé. On a besoin de la grande cavalerie pour avoir des données qui nous permettent de lancer en analyse secondaire sur des plateformes des méthodes séparatives et autres. Donc tout ça est interconnecté, et la spatialisation de ces différentes plateformes et de ces différents espaces est très importante. Si on raisonne toujours en bâtons, avec des disciplines, on ne peut pas faire vivre ce schéma-là. Dans les grandes tendances de la recherche, on parle de recherche translationnelle. C’est toujours difficile moi, j’ai toujours du mal à mettre une définition sur la recherche translationnelle. Ce qu’on voit c’est qu’autour de ces gros plateaux techniques avec ces grosses plateformes, on développe tellement la plateforme qu’elle est en capacité de fournir un certain nombre de résultats qui interfèrent avec la recherche clinique, et avec la recherche translationnelle qui est la jointure entre du fondamental qui serait fait de l’autre côté dans les labos INSERM et puis le diagnostic qui est fait dans le LABM du CHU. L’autre élément sur lequel je veux insister, parce qu’on parle toujours des gros plateaux, des biologies des CHU, mais il y a de plus petites opérations, ou alors il y a des grosses opérations d’hôpital entier où il y a un petit labo qui va faire 1000 m². Dans ces laboratoires-là, pendant très longtemps, on est resté sur quelque chose de très classique. On retrouvait de la biochimie, un peu d’immuno, on faisait très peu de bio mol, mais c’est fini : dans ces structures un peu plus modestes en termes de taille, on retrouve le même chaînage des plateaux. Il faut réfléchir avec la même logique, parce que d’une part les industriels ont permis de mettre en place un certain nombre d’équipements qui sont rentables. Avant, on ne le faisait pas parce qu’il n’y avait pas assez de volume. Maintenant, la prise en charge de l’échantillon, même sur des volumes réduits, cela fonctionne, et on raisonne de la même manière. Pourquoi ? Parce que raisonner en plateforme permet d’être plus évolutif que d’être dans des labos aux standards des années 70, ce n’est pas adapté au nouveau mode technologique, aux nouveaux équipements. Clairement, aujourd’hui, on ne raisonne plus en unité, mais en modules : « J’ai un certain nombre de locaux type : j’ai besoin d’un module de 42 m² avec une sorbonne, une étuve, un frigo, qui me permet de faire le commun ; j’ai une autre série de locaux qui vont faire 20 m², plus spécialisés, j’y ferais de la culture, de l’imagerie, de la bio-mol. » Et puis, une partie tertiaire, qu’on essaye de séparer, parce que trop longtemps chaque recherche faisait son administratif. On est dans une typologie « Tetris ». Si, par exemple, en tant que grand chercheur, mon équipe augmente parce que je gagne des appels d’offres, j’ai de l’argent pour embaucher, j’ai donc besoin de plus de place. S’il y a une équipe qui grossit, on peut profiter d’une autre équipe qui maigrit. A telle équipe, tant d’appels d’offres, de techniciens, de personnes, elle va utiliser 3 modules de 42, 2 modules de 20… L’idée est vraiment de « plugger » des espaces en fonction des besoins et de l’évolution de la structure.

Aujourd’hui, on ne raisonne plus en unité, mais en modules : « J’ai un certain nombre de locaux type : j’ai besoin d’un module de 42m² avec une sorbonne, une étuve, un frigo, qui me permet de faire le commun ; j’ai une autre série de locaux qui vont faire 20m², plus spécialisés, j’y ferais de la culture, de l’imagerie, de la bio-mol. » Et puis, une partie tertiaire, qu’on essaye de séparer.

#hôpitaldufutur : Concernant les espaces tertiaires, quelles évolutions observez-vous ?

Hugues Brochard : Les chercheurs, ça fait très longtemps qu’ils sont en open-space. Par obligation, ils mettaient 10 thésards dans la même pièce, ça ne les gênait pas, il y avait même les chercheurs au milieu. Dans les programmes aujourd’hui, les choses sont un petit peu plus raisonnable, parce que le thésard et le technicien travaillent beaucoup plus devant leur ordinateur qu’à la paillasse, par rapport à il y a 20 ans. Cela demande un petit peu plus de calme, et l’open-space est un peu organisé. Dans le privé aussi, c’est comme ça depuis mathusalem. Dans le LABM, le laboratoire de biologie, qu’il soit CHU ou autre, là, on a encore beaucoup de réticences à trouver des règles d’attribution des bureaux. Pourquoi les chirurgiens auraient une règle et les biologistes, une autre ? Et entre les deux séries, le personnel médical (PM) et personnel non médical (PNM) ? La notion d’expertise-même du biologiste est dans sa capacité à valider, et la validation se fait devant un écran, qui peut être partout, pas forcément dans un bureau. La notion de bureau pour les PH ou autre devient donc toute relative, elle diminue. Donc on a plutôt tendance à faire de l’open-space pour 4 ou 5 praticiens, ça ne pose pas de problème. Pour ce qui est du personnel médical, et notamment des doubles casquettes PU/PH et CU/CH : est-ce qu’ils sont dans la fac, est ce qu’ils sont dans le bureau de l’hôpital ? Pour nous, c’est un éternel problème. Souvent, en tant que programmiste, on demande « Dans votre hôpital, quelle est la règle ? » : on se défausse un petit peu, pour pas rentrer dans ce schéma-là. Dans le cadre stricto sensu du travail dans l’hôpital, les PH sont très centrés autour de la validation, et un simple bureau de validation leur suffirait, ou des bureaux en open-space. Et puis, il y a ceux qui sont très loin de l’analyse, les responsables de laboratoires, de départements, d’unités, qui font beaucoup de colloques et qui sont amenés à rencontrer beaucoup plus de monde. Là, je comprends la nécessité d’avoir des bureaux, qui sont plutôt des bureaux d’échange, de rencontre et autre. Le tout open-space à l’hôpital, je n’y crois pas du tout, mais je crois que c’est totalement obsolète le bureau individuel pour tout le monde. Et puis, on n’arrive pas à sortir nos programmes de cette manière-là, parce qu’il y a trop de monde, on a des espaces tertiaires qui deviennent délirants par rapport aux espaces techniques ! Et quand on arrive à rapprocher les laboratoires de recherche du diagnostic, pour tous ceux qui ont la double casquette, il y a qu’un seul bureau : ce n’est pas la peine d’avoir dans le même bâtiment deux bureaux pour la même personne !

Le tout open-space à l’hôpital, je n’y crois pas du tout, mais je crois aussi que c’est totalement obsolète le bureau individuel pour tout le monde. Et puis, on n’arrive pas à sortir nos programmes de cette manière-là, parce qu’on a des espaces tertiaires qui deviennent délirants par rapport aux espaces techniques !

#hôpitaldufutur : Au-delà de leur technicité, les laboratoires sont des espaces de travail. Comment s’adapter aux organisations évolutives, et favoriser les échanges ?

Hugues Brochard : Une plateforme, par définition, ça grandit et ça diminue. Le premier élément, dans les espaces de travail, c’est répondre à la modularité et l’évolutivité de l’espace de travail. On peut être plus royaliste que le roi, dire il n’y a aucun problème, que tout espace doit être transformable à l’infini, mon bureau en zone de bio-mol, etc… Dans la réalité, je ne connais pas de bâtiment qui fonctionne comme ça ! Ça coûte une fortune, il n’y a pas de rentabilité directe, on est vite bloqué par la barrière du coût. L’idée est quand même d’avoir, en termes techniques, un maillage, au moins sur toute une partie du laboratoire, donc une capacité à le transformer pour y accueillir n’importe quelle discipline. Que ce ne soit pas la galère pour aller y mettre deux sorbonnes et se greffer, que ce ne soit pas de la galère pour y amener de l’air neuf, pour faire de la compensation, tout ce qui va être aéraulique… t

Toute l’ingénierie doit travailler sur ces choses-là, mais aussi l’architecte, sur les espaces et avec une conception prévue à ce titre, une homogénéité dans les charges au sol, etc… Quel est le bon moyen d’y arriver ? On n’a pas une tonne au m² sur l’ensemble du plateau parce que ça risquerait là encore de coûter un peu cher, seuls les bétonneux seraient contents. Mais voilà, trouver le bon compromis entre une capacité à accueillir n’importe quelle discipline dans n’importe quelle condition, en fonction des restrictions qui ne cessent d’évoluer et qui vont vers toujours plus de confinement. Le deuxième élément : un laboratoire, qu’il soit de recherche ou autre, est amené à se centrer autour de la plateforme, autour de la technologie. Comment les gens vont évoluer là-dedans ? Comment crée-t-on quelque chose qui ne soit pas seulement un rassemblement de cellules technologiques, où personne ne se voit, mais dispose-t-on les espaces de manière qu’il y ait un flux de personnel, un flux de rencontres, une émulation. Dans la recherche, on pousse encore plus ce concept-là, sur des points de rencontre, des agoras, inventer des capacités à se rencontrer entre différents départements. C’est facile à dire, c’est plus difficile à faire pour rentrer encore dans le ratio SU/SDO qu’on nous donne, car souvent ce ne sont pas des espaces prévus à l’avance. En tant que programmiste, on a du mal à provisionner de l’espace pour ça, nous on force au moins dans le ratio SU/SDO à avoir ces éléments-là. Ensuite, au niveau de la répartition : on est souvent embêté par le foncier, par l’emprise au sol disponible. J’ai beaucoup de mal à faire passer ces concepts-là auprès de nos maîtrises d’ouvrage : ce n’est pas parce que les terrains ont une capacité constructive où rentre l’enveloppe globale des besoins du labos qu’ils vont répondre à la fonction. Parfois, on a besoin d’avoir beaucoup de largeur, ou beaucoup d’espace au sol, et on ne peut pas tout monter en verticalité. Souvent, on cite la logistique, mais il faut que les consommables et les réactifs arrivent jusqu’aux postes de travail. C’est compliqué, quand on rentre à l’intérieur d’un hôpital où on va mettre le labo au 10ème étage de l’établissement, ou quand on est plombé par rapport au bloc opératoire, qui doit être de plain-pied. C’est pour ça que le labo, on a tendance à le mettre un petit peu à l’écart, parce qu’on n’est jamais dans les trames de nos espaces de travail, qui ne correspondent pas à la trame hospitalière. A chaque fois, on est confronté à un souci : « Bah, ça ne rentre pas, et pourtant en dessous ça rentre bien ! » Oui, mais en-dessous, ce sont des chambres, ce n’est pas la même chose. On pense qu’il faut des trames minimums, j’imagine mal des plateformes dans des juxtapositions de locaux de 18 m² ! On va avoir besoin d’aérer tout ça ! Dans le labo banalisé, avoir des trames de 36-42m², c’est la base du labo classique, à la paillasse. Pour les grosses plateformes, on va plutôt être sur du 50, ou du 80. En recherche, c’est un petit peu plus compliqué, parce qu’ils fonctionnent par unité par projet, donc la mutualisation de la plateforme n’est pas si évidente que ça. Ce n’est pas comme en diagnostic où une fois qu’on a la plateforme, le but est de la mutualiser et que tout le monde puisse l’utiliser. Pour l’un des plus gros programmes que l’on ait faits, 40 000m² de laboratoire dans de la cosmétique, la demande qui était très forte était sur la cafétaria, parce que c’était la descente conjointe, à la même heure, de quasiment tout le monde. Toutes les hiérarchies étaient là, pour un quart d‘heure – vingt minutes… Et tout se passait là ! C’est assez intéressant, de se dire que le travail se déroule partout mais repose sur l’échange.

Une plateforme, par définition, ça grandit et ça diminue. Le premier élément, dans les espaces de travail, c’est répondre à la modularité et l’évolutivité de l’espace de travail. On peut être plus royaliste que le roi, dire il n’y a aucun problème, que tout espace doit être transformable à l’infini, mon bureau en zone de bio-mol, etc… Dans la réalité, je ne connais pas de bâtiment qui fonctionne comme ça ! Ça coûte une fortune, il n’y a pas de rentabilité directe, on est vite bloqué par la barrière du coût.

#hôpitaldufutur : Pour conclure, si on s’aventure sur le plan prospectif, quel laboratoire pourrions-nous imaginer demain ?

Hugues Brochard : Un premier changement s’est opéré, dans les nouveaux hôpitaux qui se construisent et vont se construire, 2 options ont été prises. Si on regarde à Caen, la biologie et la pharmacie, on les a ressortis. Dans la reconstruction de l’hôpital, on a ressorti la biologie du bâtiment hospitalier, il est à part, avec le biomédical. Tout à l’heure j’expliquais, aller mettre du labo au 5e ou au 6e d’un bâtiment clinique, ce n’est pas facile, ce n’est pas bien car ce ne sont pas les mêmes trames. L’étape suivante, ça va être de se dire, on va ressortir la technique, mais le tertiaire, ce n’est pas forcément la peine. Et peut-être que la place du tertiaire, c’est-à-dire des biologistes qui valident et qui apportent leur expertise, leur valeur ajoutée dans l’aide au diagnostic et l’aide à la thérapeutique, est peut-être plus avec les cliniciens. Et on peut imaginer que demain on ait nos praticien hospitaliers biologistes avec les cliniciens, parce qu’en fait le rapport il n’est pas forcément sur la production de l’analyse mais sur l’interprétation du résultat. On peut se poser raisonnablement cette question-là : quelle va être la place, demain, du datacenter dans le traitement des données et dans leur interprétation ? On peut imaginer que ce sera colossal ! Et du coup ça va être embêtant de les laisser avec les labos. Les équipements, sur les vingt-cinq dernières années, évoluent tout le temps, mais on reste cependant depuis vingt ans sur quelque chose d’assez classique, on n’a pas fait la mutation. Il y a eu une première mutation dans les années 90-2000, où on est passé sur du plateau, avec les premières chaines, on parlait d’ilot d’automation à l’époque. Depuis, ça se miniaturise, on a fait de l’intégration et de la consolidation, on a ramené de plus en plus de marqueurs d’analyses, de nouvelles techniques, mais on reste peu ou prou en plateau automatisé qui se transforme petit à petit en plateforme, et se colle à d’autres plateformes. Depuis 25 ans, on reste sur ce schéma-là, on voit l’évolution vers la plateforme. Peut-être que demain, il va y avoir une autre mue, sous l’impulsion de la production, du traitement et de l’exploitation de ses données. Je me dis que la médecine 4P (préventive, prédictive personnalisée et participative), un concept qui a plus de dix ans maintenant, va s’accompagner automatiquement d’une biologie adaptée. On risque d’être dans une demande de screening extrêmement forte. Imaginons le jour où l’intelligence artificielle nous permettra de corréler l’ensemble de ces données : Quand on est dans une logique personnalisée, préventive et prédictive, ça veut dire qu’on a besoin d’un certain nombre de données, dont des données biologies. Quelle va être la biologie de demain dans cette médecine 4P ? Il y a une vraie réflexion à avoir, car cela va nécessiter des plateformes de production beaucoup plus importantes. On pense aujourd’hui à des screening génétiques, du screening cellulaire ou autre, qui vont nécessiter des outils biologiques importants. Pour une population entière, on arrive à des espaces assez délirants ! Est-ce que l’hôpital aujourd’hui est capable de répondre à cette demande-là ? Pas avec ses outils actuels. Donc on peut imaginer qu’il y aura un besoin de mètres carrés supplémentaires. Est-ce que ça va être le privé, le public ? Aujourd’hui, on n’en sait rien. A la limite, aujourd’hui, on a des screening larges de dépistage du cancer colorectal : c’est le privé qui l’a gagné. Allez dans ces laboratoires-là, les centres de tri, c’est hallucinant, c’est géré comme une usine. Imaginons des screening très larges, comment ça va se développer, est ce qu’on va créer de nouvelles plateformes ? Est ce qu’on aura une nouvelle entité ? On a l’Etablissement Français du Sang, est ce qu’on aura l’Etablissement Français Prédictif pour le screening ? Je ne sais pas. Mais ça risque d’influer considérablement sur la manière de penser sur la biologie. Je pense que demain, ou après-demain, chacun aura une carte d’identité de santé et qui s’accompagnera d’outils personnalisé. Il n’y aura plus le seul passage sur la balance, il y aura aussi le rythme cardiaque, des tests de glycémie, des taux d’oxygénation. Ça ce sont des données qui sont gérées par le patient, qui n’est plus un patient puisqu’on réfléchit plutôt sur le bien-être. Comment je gère la médecine du bien-être avant de passer à la médecine de la maladie ? Tout ça, à un moment, va s’intégrer et la biologie va être au centre puisqu’avec l’imagerie ce seront les deux éléments qui apporteront les données à la médecine 4P. Est-ce que les CHU seront le point de départ de ces futures plateformes ? Ce que je sais, c’est qu’il va y avoir des réflexions globales à mener, primordiales pour demain. On va avoir une nouvelle biologie sans doute, et cela sera surement ça qui fera la transition entre la biologie de service, la biologie de technologie, et une biologie anticipative.

Peut-être que la place des biologistes qui apportent leur expertise dans l’aide au diagnostic est plus avec les cliniciens ? Quelle va être la place, demain, du datacenter dans le traitement des données et dans leur interprétation ? Quelle va être la biologie de demain dans cette médecine 4P ? Il y a une vraie réflexion à avoir, car cela va nécessiter des plateformes de production beaucoup plus importantes.

Voir également