Monobloc hospitalier – L’Hôpital du futur, pour quel(s) directeur(s) ?

Conversation#4

avec Stéphane Pardoux

Stéphane Pardoux est Directeur Général Adjoint de Gustave Roussy. Diplômé de l’IEP Bordeaux et de l’EHESP, il a été précédemment Directeur Général du Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil (CHIC) et Directeur Général du Centre Hospitalier Intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges. Il est également vice-président de la commission de certification des établissements de santé de la HAS, vice-président du conseil d’administration du RESAH. Il évoque la fin du gigantisme et l’importance de l’économie des projets immobiliers, la flexibilité nécessaire au projet médical, et questionne l’évolution de l’accueil hôtelier et l’arrivée d’une potentielle mixité programmatique à l’hôpital.

Stéphane Pardoux : Le premier point important est la question de l’échelle des projets. Le dimensionnement est lié à l’investissement. Le bâtiment de Créteil, dont vous êtes les architectes, est réussi architecturalement, joli, très bien inséré, bien éclairé. Malgré cela, au bout de quelque mois de fonctionnement, les professionnels des urgences, tout en disant qu’ils étaient très satisfaits des locaux neufs et de leurs conditions de travail, disaient que le bâtiment est trop grand. Le travail de ma prédécesseure a été d’y insérer des programmes qui n’y étaient pas prévus initialement. On pourrait se dire que ce n’est pas grave, que les locaux seront toujours là et qu’ils pourront servir à autre chose. Mais dans le cas de Créteil que je connais bien, mon travail pendant 5 ans a été de désendetter l’établissement, et de suspendre un certain nombre de projets pour retrouver une marge financière de fonctionnement. Si on réfléchit sur l’Hôpital du Futur, on doit prendre en compte ces questions.

Le premier point important est la question de l'échelle des projets. Le dimensionnement est lié à l'investissement

#hôpitaldufutur : L’économie est évidemment un paramètre à prendre en compte pour l’Hôpital du Futur. Mais comment pouvons-nous faire, nous architectes, lorsqu’on doit répondre à un programme, un cahier des charges et une définition capacitaire déjà établis ?

Stéphane Pardoux : Des AMO, des consultants participent et conseillent stratégiquement les Maîtres d’ouvrage en amont. Pour certains projets récents, on savait dès leur ouverture qu’ils étaient trop ambitieux, voire surdimensionnés, et mettraient l’hôpital concerné en grande difficulté économique. Il était impossible d’avoir un retour sur investissement pour ces structures qui sont aujourd’hui fragilisées. Vous avez raison, ce n’est pas au Maître d’œuvre de se substituer au Maître d’ouvrage. Il y a un jeu complexe de tutelles, dont c’est la responsabilité. Mais l’Hôpital du futur, que l’on estime être un Bien Commun dans un Monde Occidental qui veut apprendre à vivre plus économiquement, est de notre responsabilité collective. Il faut accepter de regarder les choses en face : la France a pris l’habitude de construire des hôpitaux trop grands. Par exemple, il faut se poser la question des halls hospitaliers. Dans le privé, je ne pense pas qu’il y ait un programme de halls hospitalier comme on peut en connaitre dans les hôpitaux publics.

L’Hôpital du futur, que l’on estime être un Bien Commun dans un Monde Occidental qui veut apprendre à vivre plus économiquement, est de notre responsabilité collective

#hôpitaldufutur : Les programmes sont plus économes en surfaces depuis Hôpital 2007, mais il y a aussi des cultures différentes chez les Maîtres d’ouvrage. Nous avons visité ce qui se fait dans le Nord de l’Europe : les ratios sont deux fois plus grands. En France on est sur des ratios à 1.5, alors que là-bas ce sont des ratios à minimum 2.2. Il y a autant de circulations générales que de surfaces utiles.

Stéphane Pardoux : Nous avons plusieurs exemples d’hôpitaux se retrouvant en situation intenable à la suite de très grands projets. La responsabilité est hospitalière avant toute chose, et des pouvoirs publics. Mais dans votre réflexion sur l’hôpital de demain, cette question ne peut être ignorée. L’exemple de Villeneuve St-George est frappant : la réalisation de son extension a amené cet hôpital à cesser sa rénovation d’IGH, car il est en cessation de paiement. C’est effectivement un beau geste architectural, mais cela ne suffit plus. A quel moment se dit-on que c’est raisonnable ou déraisonnable ? Est-ce la responsabilité d’acteurs qui ne sont pas les donneurs d’ordre de dire ce qui l’est ou non ?

A quel moment se dit-on que c’est raisonnable ou déraisonnable?

#hôpitaldufutur : Il y a une obsolescence du bâti du fait des évolutions économiques ou technologiques, des pratiques de soin. Un bâtiment peut figer une pratique de soin, ce qui est presque un contre-sens. Aujourd’hui, plutôt que de chercher un nouveau modèle qui lui aussi sera obsolète à l’avenir, il nous semble qu’il faut aborder le projet hospitalier comme un processus beaucoup plus large.

Stéphane Pardoux : Je vous garantis qu’aujourd’hui, si des maîtres d’œuvre me disent « On va travailler avec vous la question de l’économie du projet parce qu’on a l’impression qu’il y a des choses un peu excessives », cela me séduira. Je ne serais pas choqué, en tant que maître d’ouvrage, que des maîtres d’œuvre me disent : « On pense qu’on pourrait faire mieux, afin d’optimiser les rapport qualité/cout. Si on vous propose quelque chose de plus économique / écologique,  est ce qu’on peut performer là-dessus ? »

Je ne serais pas choqué, en tant que maître d’ouvrage, que des maîtres d’œuvre me disent : On pense qu’on pourrait faire mieux, afin d'optimiser les rapport qualité/cout

#hôpitaldufutur : Est-ce que la mission de l’architecte ne devrait pas revenir en amont de la programmation ?

Stéphane Pardoux : Sur le sujet de la programmation, il y a maintenant des guides Anap, et parfois les cabinets de programmation ont tendance à en reprendre simplement les schémas fonctionnels, où l’accueil doit être avant le box, le poste de soin au milieu de l’aile, et à reprendre des ratios Anap, etc… A quoi ça sert ?

#hôpitaldufutur : Les programmistes sont les premiers à trouver que leur mission a perdu du sens, et que les ratios sont une vision technocratiques déconnectée même de l’usage. Ils souffrent de surdéfinir les attendus en amont de la désignation du concepteur.

Stéphane Pardoux : Comme tous les grands projets passent en Copermo, qui dispose avant tout des data des indicateurs Anap, les programmistes partent dès l’amont avec ces mêmes indicateurs. Quand la programmation démarre, elle est déjà conforme à la programmation Anap.

#hôpitaldufutur : Plutôt qu’être futuriste dans une société qui prend conscience de l’épuisement des ressources, l’hôpital du futur est économe ?

Stéphane Pardoux : Il est économe en étant déjà un peu moins grand, ou plus flexible, et complètement évolutif. Par ailleurs, on construit grand et vaste sauf dans les zones techniques, qui très souvent se révèlent sous dimensionnées. On construit des plateaux trop petits, et après quelques années, quand les hôpitaux vont bien, ils se retrouvent engorgés dans leurs plateaux techniques. Pour les agrandir, alors qu’ils sont majoritairement placés au cœur de l’hôpital, on est alors obligés d’aller construire à côté : c’est peu satisfaisant et couteux.

Par exemple à Créteil, le plateau technique de blocs opératoires était trop grand, d’environ 250/300 m2. A long terme, cela a permis à Créteil d’être un hôpital qui n’a cessé de se développer et d’être un des seuls hôpitaux de la région parisienne à être en équilibre économiquement.

Aujourd’hui, l’hôpital, c’est un plateau technique, des lieux d’hospitalisation, quelques lieux d’accueil, un plateau de diagnostic et un hôtel patient. En France on est à plus de 60% d’activité chirurgicale en ambulatoire.

Quand on construit des hôpitaux, faut-il proposer le confort hôtelier ? Faut-il faire des douches dans les chambres ? Aujourd’hui, dans près de 70% des cas de chirurgie, le patient ne dort pas à l’hôpital. Pour  la maternité, il reste 48h. Le patient hospitalisé est en phase aiguë, en réanimation, en post-opératoire chirurgicale lourde. Il ne se lève pas pour aller à la douche ! Dans cette logique, faut-il continuer d’intégrer le confort hôtelier dans l’hôpital ? Est-ce si important que cela ? L’usage d’une chambre sera peut-être de plus en plus limité au lit et au fauteuil.

Aujourd’hui, je me pose déjà cette question d’être économe, mais dans un contexte de pensée où l’hôpital reste un lieu d’hospitalisation, imaginé comme un hôtel. Les patients ont-ils besoin de l’hôtel ? J’ai le même raisonnement sur la nourriture : à Gustave-Roussy, on a un partenariat avec Elior, on a un grand chef étoilé qui fait les menus…  Est-ce si important au final ?

L’hôpital reste un lieu d’hospitalisation, imaginé comme un hôtel. Les patients en ont-ils besoin ?

#hôpitaldufutur : Aujourd’hui, on a une offre unique de chambre et une seule offre de restauration dans les hôpitaux : n’est-ce pas là le problème ?

Stéphane Pardoux : La diversité, l’hôpital privé y travaille, avec la montée en gamme. Pour l’hôpital public, est-ce  toujours d’actualité ? N’y a-t-il pas d’autres façons de monter en gamme, sur les services par exemple ?

#hôpitaldufutur : Et le rapport de l’Hôpital à la ville ?

Stéphane Pardoux : L’hôpital doit forcément être connecté aux réseaux de communication. L’hôpital dans les champs, construit en même temps qu’une simple route et un rond-point, avec un parking de 3000 places, cela peut encore exister en France, mais c’est un modèle dépassé. L’hôpital doit se connecter à la ville. Deux des principaux sujets de dysfonctionnement dans les hôpitaux, ce sont le parking et l’accès. En banlieue ou en province, on y vient en voiture, sans trouver où se garer. En région parisienne, on ne peut pas y entrer en voiture. Gustave Roussy en est un bon exemple : construit au milieu de champs de pommes de terre, son implantation a structuré un mode de fonctionnement et d’isolement. En cela, le Grand Paris Express et la gare qui arrivent en 2024, vont transformer le mode intellectuel et l’accès à Gustave-Roussy. Le sujet du parking n’est pas anodin : il faut 2 places de parking par lits.

L’hôpital doit se connecter à la ville

#hôpitaldufutur : Est-ce qu’il faut continuer à construire des hôpitaux intégrés, avec toutes les spécialités ?

Stéphane Pardoux : Il faudrait fragmenter l’Hôpital, par typologies de bâtiment, par morphologies ou cycles de vie et de prise en charge. Par exemple, dans le cas de la cancérologie, qui est un parcours de soins à part, vous avez 3 temps : le temps du dépistage, qui qui peut être mené n’importe où ; le diagnostic, qui fait appel à différents plateaux techniques (consultation, un peu de radio, endoscopie etc.); puis le traitement. Ces lieux où de plus en plus de patients arrivent debout, habillés, en bonne santé sont en plein milieu du cœur de chauffe, où ils croisent d’autres patients beaucoup plus atteints. On arrive ainsi à des choses aberrantes, où les centres d’endoscopie doivent être reliés à la fois par un ascenseur à la réanimation et à la fois par une porte directement dans le hall, parce que 80% des patients d’endoscopie peuvent ressortir car tout va bien. On a des temps hyper séquencés, mais finalement tout l’hôpital est adossé à la notion d’hospitalisation. Or, demain, la notion d’hospitalisation deviendra une portion congrue pour toute une partie de l’activité de l’Hôpital.

Sur la question urbaine : réalisé ces dernières années, le projet de l’Hôpital Corentin Celton à Issy-les-Moulineaux a une grande qualité d’insertion urbaine. A la sortie du métro, on ne peut pas dire s’il s’agit d’un hôpital ou d’une médiathèque. Le projet est complètement dilué et intégré à la ville.

La question, « Faut-il continuer à avoir des ensembles hospitalier monoblocs ? » en rejoint une autre, qui est centrale : « Quel est le lieu d’hospitalisation ? » Gustave-Roussy a un modèle économique qui fonctionne, mais je me demande quand même s’il est durable. Faut-il continuer à penser l’hôpital autour du lieu d’hospitalisation ?

La durée moyenne de séjour dans les hôpitaux est très différenciée selon les services, mais la moyenne globale est 2-3 jours. Certes, il y a des services où elle est de 15 jours, mais ça veut ainsi dire que la majorité est en ambulatoire. Ce qui me surprend aussi, c’est la question du lieu de vie unique. Finalement l’hôpital est le dernier lieu mono-usage, non mixte ! Ailleurs, force est de constater qu’aujourd’hui partout, nous avons des programmes mixtes : des crèches et des logements, des centres commerciaux et des habitations… Pourquoi, lorsqu’on construit un hôpital, on n’y ajoute pas des étages de logements ? Pourquoi l’hôpital n’imagine pas d’être un lieu mixte ? L’hôpital est un lieu qui fait peur, et c’est en ça que le monobloc est un échec. Mais ce ne serait pas la meilleure façon de le désacraliser et désangoisser le parcours de soin ? Il faut faire rentrer la vie et la ville dans l’hôpital.

Je prends l’exemple du cancer : pourquoi n’envoyons-nous pas le message positif suivant « Aujourd’hui, quand on est soigné pour un cancer, les chances de survie sont fortes. On se fait soigner dans un lieu qui n’est pas un lieu de maladie, puisque par principe il s’agit désormais de vivre avec la maladie ».

Un autre modèle, économique celui-là, serait de faire rentrer dans ces lieux-là d’autre sources de recettes, donc de maximiser le potentiel de sa construction. Est ce qu’il n’y a pas là matière à repenser l’objet hospitalier ? On ne peut faire cela qu’en luttant contre le gigantisme hospitalier.

Je ne sais pas comment se construisent les très grands hôpitaux universitaires, mais déjà cette idée de rassembler l’Université et l’Hôpital et de les faire se parler par une passerelle, me semble aller dans le sens d’un hôpital plus humanisé.

Cela ne veut pas dire qu’on sera capable de faire partout de petits bâtiments reliés, bien insérés dans la ville, mais que progressivement, dans des programmes hospitaliers, on va faire rentrer de la vie, une école, un cinéma etc… Est-ce que cela participera à réduire la charge foncière de construction de ces structures, pour la puissance publique ? Est-ce adapté à chaque endroit, à chaque cas ?

Finalement l’hôpital est le dernier lieu mono-usage, non mixte !

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