Hôpital Bas Carbone

Conversation#9

avec Guillaume Meunier

Rencontre avec Guillaume Meunier, Architecte-Ingénieur, Directeur délégué et responsable du pôle Environnement du bureau d’études Elioth.

Guillaume Meunier revient sur les études Bas Carbone menées sur divers bâtiments et notamment sur des hôpitaux, pour comprendre les leviers d’une conception bas carbone adaptée à la santé.

Guillaume Meunier : Je suis Guillaume Meunier, architecte DPLG et ingénieur, j’ai deux diplômes, acousticien et environnemental. J’ai travaillé 13 ans comme architecte, et maintenant en tant qu’ingénieur chez Elioth depuis 7 ans. J’ai beaucoup travaillé sur des sujets urbains très larges, sur de grandes stratégies urbaines, pour le service Environnement chez Elioth, mais aussi à l’échelle du bâtiment, ce qui va même jusqu’au détail de mobilier. C’est donc un panel de sujets que je connais bien, qui sont presque toujours en lien avec le carbone, le changement climatique, ou en tout cas, la manière dont on peut aider les équipes de conception à inscrire les bâtiments et les projets urbains vers une tendance globale de réduction carbone ou une trajectoire de neutralité carbone.

Les premières personnes à s’être soucié du bien-être et du confort des habitants, ce sont les médecins

#hopitaldufutur : Guillaume, quelle est votre approche du carbone ?

Guillaume Meunier : Pour moi, le carbone c’est un mot fantastique, que je vais beaucoup utiliser. C’est un indicateur « macro », qui permet de discuter avec des personnes différentes. On peut très bien discuter d’architecture et de carbone, mais aussi d’usages et de carbone, d’alimentation et de carbone, de cycles de vie et du carbone. Pour moi, c’est un bon moyen de rassembler une équipe de maîtrise d’oeuvre et de viser une direction commune, mais dans le sens où le carbone n’a pas fonction à brider, mais plutôt à ouvrir le champ des possibles en architecture et en ingénierie. Par exemple, la notion de carbone intègre très bien la notion de « lowtech », et ça ne veut pas dire que c’est simple ou facile à faire, ça veut juste dire qu’on peut retomber dans des principes facilement compréhensibles dont l’architecture et l’ingénierie peuvent être complexes. Je le vois depuis 7 ans, on discute bien mieux tous ensemble quand on fait de la conception, quand on parle de carbone, parce qu’on peut parler de matériaux, on n’éloigne plus l’ingénieur structure du choix des matériaux, et on réintègre tout un ensemble de compétences autour de ce noyau du carbone, et plus largement comme je disais les usages.

#hopitaldufutur : Un lien avec l’architecture bioclimatique ?

Guillaume Meunier : Les bâtiments bioclimatiques, ça fait une cinquantaine d’années que ça existe. Mais lorsqu’on fait l’Histoire de l’architecture bioclimatique, on s’aperçoit que presque tous les concepts bioclimatiques étaient intégrés dans les hôpitaux, et que ce sont les premiers bâtiments à l’être. Je prends l’exemple du livre de Reyner Banham qui cite comme exemple l’hôpital de Belfast, et il le cite comme le premier bâtiment avec une ventilation mécanique contrôlée, sous entendu qui gère le chaud, le froid et l’humidité. Et ce bâtiment est de 1903 ! Quand je parle de bâtiment bioclimatique à mes étudiants, je leur cite plutôt des bâtiments des années 60-70, où on commence à voir apparaître une architecture bioclimatique. Et si on remonte, plus en arrière, pour l’hôpital de Milan de 1456, Filarète avait réfléchi déjà au comportement des bâtiments entre eux, pour faire entrer le vent, pour avoir des protections solaires. Même quand il a construit l’hôpital de Milan, il a imaginé la célèbre ville idéale de Forza. Il a écrit après un grand traité d’architecture à peu près en même temps qu’Alberti.

Lorsqu’on fait l’histoire de l’architecture bioclimatique, on s’aperçoit que presque tous les concepts bioclimatiques étaient intégrés dans les hôpitaux, et que ce sont les premiers bâtiments à l’être.

#hopitaldufutur : L’hôpital bas carbone dans l’histoire?

Guillaume Meunier : Les premières personnes à s’être soucié du bien-être et du confort des habitants, ce sont les médecins. Il y a encore cet exemple du docteur Jacob, qui a imaginé sa maison avec tout un système de ventilation mécanique et naturelle, avec des conduits d’air qui permettaient de préchauffer l’air, de ventiler etc. Ce qui est dommage, c’est qu’on soit obligé de remettre cela sur le devant de la scène, ou de devoir aujourd’hui réaffirmer que l’hôpital doit être bas carbone, alors qu’il l’a presque toujours été ! Il y a toujours eu cette réflexion environnementale, même si elle est parfois décolérée du bas carbone.

Ce qui est dommage, c’est qu’on soit obligé de remettre cela sur le devant de la scène, ou de devoir aujourd’hui réaffirmer que l’hôpital doit être bas carbone, alors qu’il l’a presque toujours été !

#hopitaldufutur : Quelques chiffres-repères ?

Guillaume Meunier : Le bilan carbone d’un français moyen, c’est 10 tonnes. Si chaque année, on fait la moyenne de toutes les personnes en France, même s’il y a une certaine corrélation avec le niveau de vie, on arrive à 10 tonnes. Proportionnellement la part des bâtiments, donc de nos logements, c’est 3 tonnes, un petit tiers, rapporté à une personne. Et quand on regarde les ratios sur les hôpitaux, les grands ratios à retenir, c’est que le bilan carbone d’un hôpital rapporté à un agent c’est de l’ordre de 10 tonnes. On peut donc se dire que la fonction d’agent hospitalier pèse 10 tonnes, pour montrer le poids carbone et l’importance qu’ont l’hôpital. Ce n’est pas illogique, dans le sens où un hôpital doit traiter des choses très complexes, avoir des structures très complexes, et son poids carbone est nécessairement important, au final. Mon hôpital bas carbone, il va peser un certain poids, qui va impacter la planète en termes de carbone. Je dois le réduire au maximum, mais sans minimiser son usage, voire en maximisant son usage. Je trouve vraiment intéressant cette notion de cycles, et cela revient au sujet-même de cette conversation, qui est : qu’est-ce qu’un hôpital bas carbone, ou un hôpital à cycles de vie ?

Mon hôpital bas carbone, il va peser un certain poids, qui va impacter la planète en termes de carbone. Je dois le réduire au maximum, mais sans minimiser son usage, voire en maximisant son usage. Je trouve vraiment intéressant cette notion de cycles, et cela revient au sujet-même de cette conversation, qui est : qu’est-ce qu’un hôpital bas carbone, ou un hôpital à cycles de vie ?

#hopitaldufutur : Quelle est la répartition entre matières et énergies ?

Guillaume Meunier : Tout le monde a dû entendre dire qu’un bâtiment standard c’est 1,5 tC02/m2/an, c’est un ratio peut être un peu bas en réalité, maintenant qu’on multiplie la quantité d’acier sur les bâtiments. Avec le changement de réglementation, on s’aperçoit que c’est peut-être plutôt 2 t/CO2/m2/an.

Si on retient 2 t/CO2/m2/an, la question est : combien on veut donner à l’hôpital sur ces deux tonnes de Co2, sur la partie bâtiment. Dans cette partie, il y a l’énergie et la matière. Dans les deux tonnes, la répartition est plus ou moins 50/50, soit à peu près une tonne pour le carbone de la matière, et une d’énergies. La matière que j’amène, il faut la chercher assez loin, chercher du sable, du béton, je vais couper des arbres je les ramène, je pose toute cette matière et 50 ans plus tard je le mets en déchèterie et toute l’énergie que je consomme c’est à peu près une tonne de 1 t/CO2/m2/an sur 50 ans. Ce qui est intéressant c’est qu’on a autant d’énergie que de matière.

#hopitaldufutur : Des pistes de réflexion pour réduire l’impact carbone de l’hôpital ?

Guillaume Meunier : Globalement sur l’hôpital bas carbone, on peut faire des efforts sur la matière. L’idéal serait de viser 900 kg de CO2 par mètre carré. On sait que sur l’énergie on peut faire des efforts, c’est pour ça qu’il existe depuis longtemps les RT. L’hôpital bas carbone doit faire une grosse partie de ses efforts sur cette tonne de Co2 de l’énergie, l’idéal ce serait de le diviser par deux voir par trois. Quand on parle de carbone, il faut toujours avoir cette vision un peu systémique. J’aime bien prendre l’exemple des balcons sur un bâtiment. Si vous rajoutez des balcons sur des logements, vous rajoutez du carbone, vous faites empirer le bilan carbone de la matière, mais vous donnez de nouveaux usages. Pour l’instant, personne n’a trouvé la solution : comment valoriser des nouveaux usages que je crée ? On voit bien avec le Covid, tout le monde souhaite avoir des balcons, mais finalement par cette qualité de vie que je donne, je fais empirer mon bilan carbone. Il y a une subtilité à avoir quand on parle de carbone. On peut viser une réduction, mais parfois une augmentation, qui veut dire qu’on impacte plus la planète, propose des usages intéressants. On ne sait pas le chiffrer. Et c’est là où est le discours commun architectes-ingénieurs. Pour revenir sur les hôpitaux, la question c’est comment on crée des usages autres que la fonction médicale. Il ne devrait pas y avoir que cette partie médicale. J’ai passé un peu de temps à la Salpetrière, et l’environnement est bien plus agréable que dans d’autres hôpitaux où il n’y a pas d’environnement extérieur immédiat. On peut se poser la question, comment l’hôpital bas carbone doit créer ces espaces annexes, à mi-chemin entre l’intérieur et l’extérieur, pour créer une qualité qui n’impacte pas trop le carbone. Dans les réflexions qu’on a pu avoir ensemble, on s’est dit que ces espaces intermédiaires vont jouer sur l’énergie, qu’ils ne seront pas chauffés, et donc on sait qu’on a des gains de carbone facile. Est-ce qu’on peut créer des espaces-tampons ? Et c’est cet ensemble de réflexion qui fait qu’on a un projet cohérent, globalement.

Comment valoriser des nouveaux usages que je crée ? On voit bien avec le Covid, tout le monde souhaite avoir des balcons, mais finalement par cette qualité de vie que je donne, je fais empirer mon bilan carbone. Il y a une subtilité à avoir quand on parle de carbone. On peut viser une réduction, mais parfois une augmentation, avec plus d’impact sur la planète, propose des usages intéressants. Mais on ne sait pas le chiffrer.

#hopitaldufutur : Et comment réduire le bilan carbone du bâtiment ?

Guillaume Meunier : Si on veut construire bas carbone, il faut absolument qu’on réduise le poids physique de cette structure, sa masse, et construire une structure bois. Celle-ci a un double avantage : le bilan carbone du bois est meilleur qu’à peut près n’importe quelle autre structure qui existe avec des petites contraintes particulières d’acoustique, mais on sait le gérer. Le deuxième effet, c’est que je stocke du carbone, car le bois a besoin de carbone pour pousser et le fait qu’il soit stocké dans un bâtiment ça m’assure qu’il évite le pourrissement, les incendies etc. Ce qui est aussi bien, dans cette approche physique, dans la future règlementation, c’est-à-dire qu’il va y avoir un avantage calculatoire aux matériaux biosourcés. Ce sera intégré dans la culture RE 2020, parce que la déclinaison de la stratégie nationale bas carbone, dans sa déclinaison pour le monde du bâtiment et de la construction, dit qu’il faut absolument augmenter la part de matériaux biosourcés dans les bâtiments. Par ce double effet, j’ai moins d’impact et je stocke du carbone.

Evidemment, l’hôpital du futur doit mener cette réflexion : comment maximiser la quantité de bois dans un hôpital ? La complexité c’est qu’on ne peut pas en mettre partout, car on a des contraintes de résistance et de hauteur. Mais la règle serait de mettre des matériaux biosourcés, dont la structure bois, partout où l’on peut en mettre. Il y a deux grands enjeux sur la façade : comment je gère au mieux mes parties opaque et vitrées, il faut qu’il y ait de la lumière. Mais à l’inverse, plus je mets de verre dans un bâtiment, plus j’ai des déperditions et plus je consomme de l’énergie, et une paroi vitrée a plus d’impact carbone qu’une paroi opaque.

Si on veut construire bas carbone, il faut absolument qu’on réduise le poids physique de cette structure, sa masse, et construire une structure bois.

#hopitaldufutur : Le bilan carbone, un enjeu d’échelle ?

Guillaume Meunier : Un bâtiment tout seul n’arrivera jamais à être neutre en carbone, et ce qu’on démontre aussi, c’est que finalement une entreprise n’arrivera jamais à être neutre toute seule en carbone etc… Si on élargie un peu l’échelle, à l’échelle du quartier, on a toutes ces mutualisations possibles, que ce soit énergétique, de matière, on peut très bien imaginer à un moment donné démonter une partie d’un bâtiment pour reconstruire quelque chose ailleurs. Certains espaces vides pourraient servir de bureau, on pourrait avoir des mouvements un peu plus naturels des usages. L’hôpital, c’est presque déjà un quartier en lui-même : on peut y dormir, on y vit, on y mange, il y a des cycles qui sont globalement assez longs. Cette réflexion urbaine, il faut qu’on l’ait dans l’hôpital : quelles sont l’optimisation des flux de la matière et du carbone au sein de l’hôpital et comment on peut faire diffuser ça ? On pourrait tout à fait imaginer qu’un hôpital produise bien plus de chaleur et de froid nécessaire pour lui-même et le diffuse aux bâtiments autour. Dans les idées qu’on propose parfois, le fait de faire un chantier et d’avoir sur place les engins et les ouvriers pendant longtemps pour un hôpital, est ce qu’on ne pourrait pas s’en servir pour faire d’autre chose aux alentours. C’est un phénomène de gagnant / gagnant, où finalement on a des impacts déporter. Il y a un label d’état crée il n’y a pas longtemps, qui commence à proposer ces réflexions, le label bas carbone. Il permet de réguler la compensation et propose une méthode de calcul de compensation. Autant on entend beaucoup de greenwashing sur la compensation mais si c’est physiquement et intellectuellement juste pour moi il n’y a pas d’erreur et on ne fait qu’élargir l’échelle finalement.

#hopitaldufutur : Et un enjeu de durée de vie ?

Guillaume Meunier : Il y a les deux sujets à traiter, comment je réduis intrinsèquement le bilan et comment je prolonge la durée de vie, on ne peut pas séparer les deux. Quand on fait des bâtiments bioclimatiques et qu’on réduit tout ce qu’on peut faire ensuite on met la meilleure technologie ensuite on met des EnR mais d’abord le premier travail c’est de réduire le bilan carbone. Les contraintes dans un hôpital sont tel qu’on est assez vite limité sur ce qu’on peut faire en termes de bilan carbone. On fait déjà un très bon hôpital sur la matière lorsqu’on est à 900 kg de Co2. Il faut absolument qu’on puisse se dire il faut que mon hôpital soit 100% démontable et que je puisse récupérer l’ensemble de la matière. Si je veux rajouter un étage on peut se poser la question de surdimensionnement de la structure, mais je rajoute de la matière donc finalement je fais empirer mon bilan carbone. L’hôpital bas carbone doit se demander ce qu’il veut devenir et ici l’adaptabilité est une bonne solution même si on a tendance à surdimensionner un peu tout. L’enjeu majeur reste l’optimisation de la matière qui va avec l’optimisation des usages. Si on met 4 mètres de plafond partout ce sera surement très adaptable mais ce n’est pas très efficient, il y a donc un ratio à trouver entre les deux.

L’hôpital bas carbone doit se demander ce qu’il veut devenir et ici l’adaptabilité est une bonne solution même si on a tendance à surdimensionner un peu tout.

#hopitaldufutur : Le mot de la fin ?

Guillaume Meunier : Finalement, le carbone nous impose d’être beaucoup plus intelligent qu’on ne l’a été : on doit réfléchir à deux fois avant de faire des choix, parce qu’on sait qu’on impacte sur le long terme. Effectivement, dès qu’on parle en stock, en cycle de vie ou dans le futur, je trouve que le carbone redonne une très grande responsabilité à notre métier. C’est encore plus flagrant la ou l’hôpital est vraiment un objet qui est carboné, et il faut être d’autant plus intelligent dans tout nos choix et presque chaque trais de crayon, chaque ligne de description d’un projet doit porter la responsabilité de ce qu’on fait.

L’hôpital est vraiment un objet qui est carboné, et il faut être d’autant plus intelligent dans tout nos choix. Chaque trais de crayon, chaque ligne de description d’un projet doit porter la responsabilité de ce qu’on fait.

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