Conversation#19

avec Manon Labarchède et Guy Tapie

Les espaces de la maladie d’Alzheimer

Manon Labarchède, est architecte et sociologue. Sa thèse de sociologie s’intitule « Les espaces de la maladie d’Alzheimer : conditions de vie, hébergement et hospitalité ».

Guy Tapie, sociologue, est professeur HDR à l’Ecole d’Architecture et du Paysage de Bordeaux, chercheur spécialiste des professions et de l’habitat, au sein du laboratoire PAVE (Profession Architecture Ville Environnement).

Plus de détails :

https://theconversation.com/un-village-alzheimer-pour-qui-pourquoi-159274

http://www.theses.fr/2021BORD0030

#hopitaldufutur : Manon, Guy, est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Guy Tapie : Je suis professeur de sociologie à l’Ecole d’Architecture et du Paysage de Bordeaux, enseignant et chercheur, et je travaille depuis une trentaine d’années sur les questions de l’habitat et des rapports entre architecture et mode de vie. Récemment, on a conduit un programme de recherche sur l’habitat des personnes âgées et les effets du vieillissement sur l’habitat.

Manon Labarchède : Je suis architecte DE et docteur en sociologie, j’ai mené ma thèse dans le cadre du programme de recherche dont Guy vient de vous parler, sous la direction de Guy Tapie et de Muriel Rainfray, gériatre au CHU de Bordeaux, sur la question des espaces de la maladie d’Alzheimer et les questions d’hébergement, des conditions de vie et d’hospitalité.

#hopitaldufutur : Guy, dans le cadre de ce programme de recherche intitulé « Habitat et vieillissement », vous avez étudié la diversité des modes d’habiter et des typologies proposées en France. Pouvez-vous nous en donner un aperçu ?

Guy Tapie : D’abord une précision, c’est un programme de recherche qui a été financé par la Région Nouvelle-Aquitaine et le conseil départemental de Gironde, entre 2016 et 2021. L’objectif était de rendre compte des expériences de vie et des conditions d’habitat des personnes âgées, et de mettre en rapport Architecture et modes de vie. Notre préoccupation principale dans les travaux sur l’habitat, c’est de faire le lien entre ces deux instances, le mode de vie des populations et l’architecture dans laquelle ils se trouve intégrés. On a eu une approche vis-à-vis de ce groupe d’âge assez transversale, en considérant une diversité de situations d’habitat. Il y a beaucoup de travaux de recherche sur les personnes âgées, ils se focalise sur une catégorie spécifique de personnes, et sur un type d’habitat par exemple. Notre vision était d’avoir une vue transversale, dans laquelle se positionne cette réflexion sur les conditions de vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, en particulier dans les EHPAD. On s’est intéressés plus précisément à 5 structures d’habitat : les hébergements collectifs des personnes qui étaient atteintes de la maladie d’Alzheimer, du service public et du privé, une offre assez ancienne du côté du public et qui ces dernières années a été beaucoup portée par le secteur privé. On s’est intéressé à l’habitat intergénérationnel et à l’habitat participatif, qui pour nous portaient peut-être des innovations, en tout cas une nouvelle manière de voir ces catégories de populations, et l’habitat pour ces catégories de population. On s’est intéressé aussi aux domiciles personnels, historiques, qui restent le principal mode d’habitat des personnes âgées. Les personnes de plus de 65 ans représentent 20% de la population française, entre 13 et 14 millions de personnes. Les plus de 75 ans, c’est 10% environ, soit 6 millions d’habitants. Il y a eu une progression très importante de ces catégories d’âge, liée aux progrès de la médecine, à l’augmentation de l’espérance de vie, à l’amélioration du confort en 70 ans. On parle d’ailleurs de transition démographique, parce que cette catégorie de population prend de plus en plus d’importance dans la société. D’ailleurs, pour les élections régionales et départementale qui nous occupaient ce week-end, c’est une catégorie de population qui a beaucoup voté, à la différence des catégories plus jeunes ! Quand on a interrogé ces populations-là, on s’est rendu compte qu’elles étaient assez diversifiées, parce qu’on a affaire à trois strates générationnelles, et c’est ça qui est important pour comprendre les parcours de vie. Les plus âgés, qui sont nés avant la deuxième guerre mondiale et qui ont connu des conditions de vie très inconfortables du point de vue de l’habitat. Quand on les interroge, c’est assez marquant, parce qu’elles se remémorent tout leur passé et des conditions de vie qui nous sont totalement inconnues d’une certaine manière, cette mémoire-là d’une population-là âgée entre 85 et 90 ans. Puis il y a les fameux baby-boomers, qui sont assez diversifiés mais qui représentent au fond une population qui a eu accès au confort, à une amélioration de leur niveau de vie, a des attentes beaucoup plus qualitatives sur des questions d’habitat, c’est différent. Et enfin, bien sûr, il y a les plus « jeunes » vieux, qui sont imprégnés d’aspirations très individualistes, en particulier concernant leur projet de vie. Il y a vraiment des attentes assez différentes, qui sont portées par ces trois strates générationnelles, qui se croisent dans la société aujourd’hui vis-à-vis des questions d’habitat et du vieillissement. Nous avons tenté de bien comprendre le rapport de ces types de population vis-à-vis de leurs conditions d’habitat. Les plus âgées, on pouvait aussi bien les retrouver dans les institutions que dans les domiciles, parce qu’il y a des personnes qui vivent à 90 ans dans leur domicile. Notre écrit s’est intéressé à la manière dont chacun vivait ses conditions de vie. Il y a bien sûr l’âge biologique, auquel nous sommes tous soumis finalement (les gériatres disent que la bascule, c’est plutôt à 75 ans pour ceux qui sont en bonne santé, où il y a une sorte de dégradation du corps humain), et l’âge subjectif, cette nouvelle manière d’appréhender aussi sa vie, son projet de vie et son projet d’habitat, qui rend assez remarquable l’idée d’âge subjectif. Quand on a interrogé les personnes, certaines qui avaient 85 ans se trouvaient jeunes, par rapport à une personne qui avait entre 90 et 95 ans. Et ça nous montre qu’il y a quand même une difficulté, un peu plus importante aujourd’hui, à appréhender ce que souhaitent les individus et les groupes, parce qu’il y a une véritable diversité d’expériences.

Les personnes de plus de 65 ans représentent 20% de la population française, entre 13 et 14 millions de personnes. Les plus de 75 ans, c’est 10% environ, soit 6 millions d’habitants. Il y a eu une progression très importante de ces catégories d’âge, liée aux progrès de la médecine, à l’augmentation de l’espérance de vie, à l’amélioration du confort en 70 ans. On parle d’ailleurs de transition démographique, car cette population prend de plus en plus d’importance dans la société

#hopitaldufutur : La diversité des offres d’habitat doit répondre à celles des besoins et des aspirations. On la retrouve principalement dans les domiciles, plutôt que dans les institutions ?

Guy Tapie : Le domicile, c’est une catégorie presque abstraite. Si c’est un appartement, une maison, en ville, s’il y a un étage, deux étages, selon le nombre de pièces… A l’intérieur-même de l’idée de domicile, il y a des conditions matérielles et spatiales, de vie, qui sont très différentes. Ce qu’on a observé, c’était quand même la capacité d’adaptation du logement, au cours du parcours de vie, parfois en transformant l’espace, ou en transformant les pratique de cet espace, les pratiques évoluent. Comme ça, il y a une échelle plus fine qu’il faut observer, parce qu’il y a cette adéquation aux conditions spatiales et matérielles très concrètes. Le domicile est beaucoup plus pluriel que l’on peut l’imaginer. Le domicile, ce n’est pas simplement le logement en lui-même, c’est aussi tout ce qui se passe autour. Cette notion traditionnelle, voire ringarde, du quartier et même presque de la ville font sens pour les modalités d’appropriation de ces espaces de vie, parce qu’ils introduisent des routines et des références très stables pour les personnes. Et c’est vrai que, quand on avance en âge, on est peut-être un peu plus en demande de ces routines et de cette stabilité de pratique et d’espace.

Manon Labarchède : Ce qu’on a mis en évidence dans notre travail, c’est qu’il n’existe pas qu’une personne âgée, mais des personnes âgées, avec des aspirations et des besoins complètement différents, ce qui fait que les réponses apportées en termes d’habitats sont intéressantes aussi du fait de leur diversité. Parce que tout le monde n’a pas forcément envie d’intégrer un habitat service, d’être dans une logique intergénérationnelle, ou de s’investir dans un projet participatif. La démultiplication de ces propositions fait que chacun peut y trouver son compte et chacun peut se retrouver dans différents projets. Ce sont des réponses qui peuvent évoluer aussi en fonction des besoins des personnes, et qu’on n’est pas sur les besoins figés. Dans cette catégorie de personnes âgées, il y a différentes générations qui n’ont pas les mêmes besoins, qui ont des points de vue différents. Les envies et les besoins qu’on va avoir à 75 ans ne sont pas les même que ceux qu’on peut avoir à 90 ans. De la même manière qu’on n’a pas envie des mêmes choses à 25 ans ou à 40, et c’est vraiment quelque chose que l’on a souhaité questionner en interrogeant ces différentes formes, pour voir à qui elles pouvaient s’adresser. Ça nous a permis de mettre en évidence que les formes institutionnelles comme les EHPAD qui sont très largement critiqués pour ce qu’ils proposent parfois aux personnes âgées sont aussi une réponse à une inadaptation du domicile et à un besoin sanitaire, médical et social aussi parfois.

Le domicile, c’est une catégorie presque abstraite. Si c’est un appartement, une maison, en ville, s’il y a un étage, deux étages, selon le nombre de pièces… A l’intérieur-même de l’idée de domicile, il y a des conditions matérielles et spatiales, de vie, qui sont très différentes

#hopitaldufutur : Nous accordons à la vieillesse une place particulière dans la société, qui est reflétée par l’habitat ?

Guy Tapie : Je crois que dans nos sociétés il y a une forme de déqualification de ce qu’est une personne âgée, parce qu’effectivement nos vies sont quand même très ordonnées par rapport à la question professionnelle. La retraite est un point de basculement très important. Dans un monde qui valorise la productivité, l’énergie de la jeunesse, la vieillesse apparait en contre point comme étant plutôt une mise à l’écart, y compris pour les personnes d’un grand âge-là le processus est encore plus accentué, en infantilisant les personnes. Quand on a vacciné les premières personnes de grand âge, la médiatisation qui en a était faite, c’était comme si on avait à faire à des enfants qui ne comprenaient rien. Effectivement, il y a cette représentation sociétale qui pèse sur l’habitat des personnes âgées. L’habitat intergénérationnel essaye de restaurer toute l’importance de cette mémoire collective, l’importance des liens intergénérationnels, pour produire du vivre ensemble. L’habitat participatif est intéressant aussi, même s’il est limité, mais dans l’imaginaire social, il participe au fait que les personnes âgées qui vont y participer sont actives et sont capables de conduire ou de participer de manières très étroites à un projet immobilier. C’est pour ça qu’au travers de l’habitat, il y a ces formes de restauration d’un groupe social qui pouvait être déclassé. Pour les EHPAD, je me dis que c’est une forme de progrès social qui a été aussi accomplie à un moment donné. Quand on compare les situations avec d’autres pays, le modèle français peut apparaitre comme plutôt pertinent et plutôt intéressant. Les EHPAD concernent environ 700.000 personnes sur les 14 millions de personnes que j’évoquais. On y entre de plus en plus tard, on sait bien que c’est un établissement presque de fin de vie. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas améliorer les choses, sur l’attention qu’on porte à ces populations, l’architecture, les conditions d’accueil et d’encadrement, puisque les trois vont ensemble. La maladie d’Alzheimer, c’est quelque chose qui est vécu par l’entourage de manière très difficile et très déstabilisante, avec un contenu émotionnel très fort. Je me rappelle le compte rendu d’un entretien de Manon, où on voyait que l’entourage reconnaissait la personne à sa coque extérieure, si on peut dire, mais tout son intérieur s’était complétement échappé. C’est une atteinte qui est extrêmement difficile à gérer. Avec ces personnes-là, on peut pousser le maintien à domicile jusqu’à un certain point, mais on sait très bien que c’est impossible, il y a le milieu familial, la pression des médecins qui vont effectivement amener ces personnes-là dans cette diversité d’établissement. Les maladies de l’esprit interrogent globalement. Parmi les représentations sociales de la vieillesse, on accepte mieux d’être handicapé dans un fauteuil roulant que d’être malade d’Alzheimer, il faut avoir ça à l’esprit.

Dans un monde qui valorise la productivité, l’énergie de la jeunesse, la vieillesse apparait en contre-point comme étant plutôt une mise à l’écart, et pour les personnes d’un grand âge-là le processus est encore plus accentué, infantilisant les personnes

#hopitaldufutur : Si on aborde plus en détail les programmes dédiés aux malades d’Alzheimer, on constate que, comme pour la psychiatrie, la question de l’espace y est très importante. Manon, vous avez consacré votre thèse à cette question, pouvez- vous nous donner quelques repères ?

Manon Labarchède : Mon travail de thèse s’est concentré sur la question particulière de l’hébergements des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou des troubles apparentés, l’ensemble des troubles neurocognitifs finalement. Cette réflexion est partie de la spécialisation de plus en plus poussée des établissements dans la prise en charge. L’émergence d’un projet, dans les Landes, de village Alzheimer, m’a amené à réfléchir sur ce type de projet. Pourquoi dans notre société, on est amené à développer ce type d’établissement ? Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont de plus en plus nombreuses. En 2015, on a estimé 200.000 personnes environ, et ce chiffre risque de doubler dans les prochaines années. Cette spécialisation se fait sous une triple impulsion, d’abord des professionnels de terrain, qui au cours des années ont commencé à souligner et à mettre en évidence le fait que les personnes malades avaient besoin d’un accompagnement particulier qui dépassait l’accompagnement sanitaire et médicale classique. C’est aussi sous l’impulsion des institutions, des EHPAD, qui ont été largement critiqués mais qui ont tenté, face à ces critiques, de se remettre en question, et de proposer des améliorations, une prise en charge et un accompagnement qui améliore la qualité de vie des patients. Aussi, sous l’impulsion de politiques publiques qui ont peu à peu fait de la catégorie Alzheimer une catégorie politique vraiment particulière, et souvent accompagnée d’un financement particulier, qui permet quelque part l’innovation dans ces structures et ces établissements. Dans le cadre de cette thèse, je me suis intéressée à trois types d’accompagnement des personnes malades en institution. D’abord, les unités dédiées, unité Alzheimer, unité d’hébergements renforcée. Leur caractéristique est d’être des  petites unités de vie, souvent entre 15 et 30 résidents, qui prennent forme soit par création d’une unité, soit par privatisation d’une unité existante, en tout cas qui prennent place au sein d’un EHPAD existant. On s’est intéressé aussi au modèle de l’établissement spécialisé, souvent sous la forme d’EHPAD, aux mêmes codes organisationnels et normatifs que les classiques, mais qui vont être entièrement dédiés à la prise en charge et à l’accompagnement des personnes malades. La troisième typologie, est ce qu’on a appelé, « les projets innovants », qui cherchent un peu à être en rupture avec les prises en charge et l’accompagnement classiques, notamment le village Alzheimer des Landes, mais aussi des projets internationaux, comme la maison Carpe Diem au Canada qui s’est transposée sur le territoire français avec les maisons de Crolles situées à coté de Grenoble. Pour chaque, on a réalisé des entretiens avec différents acteurs, dont les architectes de ces projets, pour essayer de comprendre quelles avaient été leurs logiques de conception, les normes, les contraintes règlementaires, sociales aussi, auxquels ils avaient été confrontés. On a interrogé aussi les directeurs de ces établissements, pour essayer de comprendre d’où le projet était parti, comment il était pensé, comment l’accompagnement était envisagé ; les familles des résidents, pourquoi le choix de ces établissements ? Est-ce que ça s’est inscrit dans une démarche comparative entre les établissements ? Ces trois types se positionnent par rapport à un modèle institutionnel de référence, celui de l’EHPAD classique, de l’unité dédiée. Pour l’unité, la logique est l’adaptation, la réponse très pragmatique va être rapide dans sa mise en oeuvre et dans sa conception, soit on construit une extension de l’établissement existant, soit on aménage une unité déjà implantée sur le site. Pour les EHPAD spécialisés, on a une logique d’évolution : on va vraiment reprendre les codes, transformer et améliorer par rapport à la spécificité du public accueilli. Dans les projets innovants, on a plutôt une logique d’abandon ou de rupture avec ce modèle institutionnel classique, pour s’en détacher au maximum. Les observations sur le terrain ont permis de comprendre comment les différents acteurs vivaient les espaces, comment ils étaient conçus, quelle qualité de vie cela pouvait amener au quotidien. Pour l’unité dédiée, on est dans une logique de contrôle de la maladie et de ses troubles, qui va se retrouver aussi dans la manière de concevoir l’espace de l’unité : sécurisation, délimitation et organisation. La sécurisation va passer par la fermeture de l’espace, par un code d’accès, qui crée un entre soi pour les résidents. La surveillance va être mise en oeuvre par la matérialité des parois, et la mise en place de parois vitrées notamment sur les postes de soins des équipes et le bureau infirmier. Dans la pratique, souvent cette paroi vitrée sera occultée par des feuilles, des plannings, scotchés un peu partout. Ou souvent, les infirmiers et les aides soignants vont avoir tendance à baisser le rideau quand ils sont entre eux. Elle n’est pas forcément utile, ni agréable à vivre au quotidien pour les usagers. Là, on a un jeu avec la question de la norme et de la règlementation. Ce local technique et de soins, l’aquarium comme il est souvent appelé par les équipes, va être imposé par les tutelles, alors que les porteurs de projet et les architectes soulignent que ce n’est pas forcément utile. Dans la délimitation, on va avoir une double réflexion : la première sur l’intégration de cette unité avec le reste de l’établissement, en repensant la distribution de l’EHPAD afin que cette unité soit véritablement intégrée dans le projet d’établissement et de façon architecturale. La réglementation impose le contrôle, est vraiment limitante. Mais il y a une réflexion sur ces espaces-là, pour interroger la limite, la sécurisation : est-ce qu’on a besoin d’être enfermé dans cette unité tout au long de la journée ? Peut-on différemment, penser des temps où l’unité peut s’ouvrir, si elle est contrôlée. Il y a un enjeu intéressant, aussi, sur la question des espaces extérieurs de ces unités. L’un des modèles que l’on voit assez souvent dans les unités dédiées, c’est le système du patio. Même s’il est intéressant en termes de surveillance et de contrôle des résidents, la qualité de cet espace extérieur interroge véritablement. Finalement, ces espaces contraints au niveau de leur taille, surchauffés, jamais ouverts, entourés de parois vitrées pour laisser entrer la lumière, sont des espaces peu qualitatifs en termes d’usages. Peu utilisés par les résidents, ils renforcent l’idée de repli sur soi et de mise à l’écart. Cet espace extérieur compris au sein de l’unité est quand même assez limité. Certains architectes que j’avais rencontré ont essayé de pousser la maîtrise d’ouvrage à une réflexion un peu plus large sur l’organisation générale de l’établissement, l’accès à cette unité participant aussi à l’image qu’on renvoie aux résidents. La troisième caractéristique de ces unités, ce sont des espaces peu développés, peu étendus. Même au niveau des espaces en commun, de vie, on a une organisation très cadrée, la définition de coins particuliers, le coin salon, lecture, cuisine, encadrant l’usage, limitant les usagers autorisés ou non. On se rend compte dans les établissements spécialisés sont une évolution, car on a alors mis à disposition la totalité de l’établissement pour les personnes malades. C’est une forme d’émancipation, par rapport à la forme classique des EHPAD aux étages superposés. Dans les établissements spécialisés, la logique est l’étalement dans la parcelle, et finalement la déconstruction de cette forme compacte de l’EHPAD, en rez-de-chaussée et R+1, pour limiter escaliers et ascenseurs difficiles pour les malades. Eclater cette forme architecturale va permettre d’augmenter les surfaces de marche, donc la possibilité de circulation des résidents, qui souvent ont besoin de beaucoup marcher. La déambulation y est moins circulaire que celle des unités dédiées, avec leur boucle de déambulation. Pour le personnel, il y a d’autres problématiques pour leur éviter de faire 120km par jour, et de rassembler des surfaces prévues de local technique et de stockage à proximité, afin de leur éviter d’avoir à traverser la totalité de l’établissement toute la journée. On a une forte logique de hiérarchisation des espaces, collectifs et intimes. Comme dans les EHPAD, plusieurs petites unités sont regroupées, des unités de vie, qui vont leur permettre d’avoir une collectivité de « quartier ». Dans cette logique-là, les établissements spécialisés ont cherché à proposer au sein de l’établissement des espaces publiques, on va avoir un salon de coiffure, de gymnastique, des lieux de cultes, une sorte de mini-ville. On est bien conscient de la nécessité d’un accompagnement social, de vie quotidienne, et finalement se pose la question du repli sur soi, de l’autarcie de ces établissements. Une forme de mise à l’écart des résidents nait de cette volonté de subvenir à l’ensemble de leur besoin.

Dans les établissements spécialisés, la logique est l’étalement dans la parcelle, et finalement la déconstruction de cette forme compacte de l’EHPAD, en rez-de-chaussée et R+1, pour limiter escaliers et ascenseurs difficiles pour les malades. Eclater cette forme architecturale va permettre d’augmenter les surfaces de marche, donc la possibilité de circulation des résidents

#hopitaldufutur : Des projets innovants voient le jour, avec d’autres philosophies. Quelles observations et tendances s’en dégagent ?

Manon Labarchède : Les projets innovants développent une logique d’intégration des projets, qui passe notamment par la mobilisation de l’image urbaine et architecturale des projets et renvoie à la question du domicile. La difficulté de ces hébergements, est qu’ils sont à la fois équipement public et logement. D’un point de vue architectural, les projets innovants mobilisent des images du côté du logement, on va évoquer la forme du village, qui renvoie à cette idée de communauté, mais on va aussi parler de maison (Crolles, Carpe diem). Au Canada, la maison Carpe diem, qui un ancien presbytère, ressemble vraiment à la maison américaine. Elle accueille une trentaine de résidents. Les maisons de Crolles sont sur cette même logique, reprennent les codes urbain. Pour le village, les architectes ont cherché à s’inscrire dans des codes urbains très marqués, l’image de la bastide landaise, une ville médiévale datant du treizième siècle, avec sa place centrale et ses habitations autour. S’inscrire dans l’histoire urbaine du territoire landais fait écho pour les personnes qui vont y vivre, mais aussi pour les personnes autours. On a conservé au maximum l’espace boisé pour limiter visuellement l’impact du grillage qui est autour du village. Pour les maisons de Crolles, techniquement, la maison est clôturée, mais tout n’est pas entièrement fermé par un système de chicane de haies. La logique y est différente, l’implantation décidée par les ressources disponibles dans le quartier, afin d’utiliser les services à disposition dans le quartier, sur le territoire d’implantation : le boulanger, le coiffeur, l’épicerie… Le principe est de dire, « on va permettre aux résidents de sortir, les accompagner, et le travail qu’on va faire, c’est d’expliquer aux commerçants autours ce qu’est la maladie d’Alzheimer, qui sont ces personnes, pourquoi ils peuvent avoir des comportements déroutants ». L’implantation se fait avec cette sensibilisation du quartier autour. Le quartier doit être une véritable ressource pour le projet, avec les services qui habituellement sont concentrés à l’intérieur des établissements. A l’origine, deux terrains leur avaient été proposés : un terrain très arboré derrière l’hôpital de Crolles, mais il n’y avait rien autour, et un deuxième terrain, retenu, dans une zone d’entreprise, avec à proximité des restaurants, des commerces, des services développés pour les entreprises. Quand un résident sort pour aller chercher le pain, ils ne l’accompagnent pas forcément parce qu’ils savent que le résident est suffisamment autonome pour le faire. S’il y a un problème, ils vont potentiellement recevoir un appel des commerçants. Il y a vraiment cette démarche-là de travailler avec le territoire. Pour le village Alzheimer, la logique est un peu différente : s’implanter dans un espace où il n’y a pas ce type de services, et devenir une offre sur ce territoire, en ouvrant les services au quartier alentours. Le village Alzheimer s’inscrit dans un tissu boisé, entouré de pavillonnaire avec très peu de services, en seconde couronne de la ville de Dax. Les équipements et les services offerts par le village ont été pensés afin d’avoir un intérêt pour le quartier alentours, par exemple la future salle de la médiathèque, un auditorium, une épicerie, un restaurant, un bar… Avec le Covid, on a vu la limite de cette démarche, car depuis qu’il a ouvert aux résidents en mars 2020, le village n’a pas pu ouvrir aux personnes extérieures. Les interactions et l’intégration ont été pensées dans un sens unique, du quartier vers le village.

Enfin, on a aussi une logique d’invisibilisation sanitaire et médicale. Par exemple, les soignants ne portent pas de blouses. Cette invisibilisation est visible aussi par les dispositifs architecturaux comme les sas et les zones tampons. Par exemple, dans le village dans les Landes, les maisonnées qui accueille 4/8 résidents, sont reparties en carré. Le personnel soignant ne passe pas par l’entrée des maisons, mais par un sas qui relie les maisons aux locaux technique et zones de stockage, avec un accès direct aux chambres. On a une évolution de la prise en charge des professionnels, accompagnée par les dispositifs architecturaux.

Le principe est de dire, « on va permettre aux résidents de sortir, les accompagner, et le travail qu’on va faire, c’est d’expliquer aux commerçants autours ce qu’est la maladie d’Alzheimer, qui sont ces personnes, pourquoi ils peuvent avoir des comportements déroutants ». L’implantation se fait avec cette sensibilisation du quartier autour. Le quartier doit être une véritable ressource pour le projet, avec les services qui habituellement sont concentrés à l’intérieur des établissements

#hopitaldufutur : La forme prise par certaines opérations, le Village, ou la Maison, peut interroger, ou sembler presque factice. Comment l’invisibilisation de la dimension médicale participe à la prise en charge médicale ?

Manon Labarchède : La difficulté dans ces lieux, c’est qu’on est à la fois dans le lieu de travail et le lieu de vie. On tend vers des lieux de vie avec l’invisibilisation des soins. Cela peut être déroutant pour le personnel soignant, on est sur une logique d’ajustement du curseur. Il faut développer des espaces dédiés aux soins pour garder l’intimité des résidents, et dédier des temps à ces soins, afin qu’ils ne prennent pas la majeure partie de la journée des résidents.

La difficulté dans ces lieux, c’est qu’on est à la fois dans le lieu de travail et le lieu de vie. On tend vers des lieux de vie avec l’invisibilisation des soins

#hopitaldufutur : Sur les plans urbain et architecturaux, quels sont les enjeux de ces programmes innovants ?

Manon Labarchède : D’un point de vue architectural, il faut rompre avec l’image de l’équipement public. Aujourd’hui, visuellement, on reconnait un EHPAD en ville. L’architecture a un rôle à jouer dans la représentation, afin qu’il prenne une forme d’habitat plus que d’équipement public. D’un autre côté, l’effet factice du village Alzheimer leur a été reproché. Il faut aussi modifier le positionnement de ces établissements dans la conception urbaine, et la place qu’ils peuvent prendre en ville.

Guy Tapie : L’image du village a vocation à offrir un nouveau cadre de vie, plus humain, pour s’éloigner de l’image d’enfermement que peut avoir l’EHPAD. Ces villages, avec leur qualité et leurs défauts, sont un mouvement vers la réflexion, parce que c’est un secteur qui a envie de bouger d’une certaine manière. Leurs modèles pourront être transposés dans les structures actuelles, pour les faire évoluer.

L’architecture a un rôle à jouer dans la représentation, afin qu’il prenne une forme d’habitat plus que d’équipement public. D’un autre côté, l’effet factice du village Alzheimer leur a été reproché. Il faut aussi modifier le positionnement de ces établissements dans la conception urbaine, et la place qu’ils peuvent prendre en ville

#hopitaldufutur : Donc on serait in fine dans un laboratoire de l’habitat ?

Guy Tapie : L’idée est d’humaniser les établissements, et on a essayé d’introduire la culture domestique dans ces établissements. Dans le village Alzheimer, l’idée était aussi d’alimenter la mémoire des patients, en construisant des maisons pour reproduire leur style de vie, pour qu’ils soient à l’aise avec leur insertion, en utilisant la mémoire sociale. L’architecture est une ressource très pertinente et très importante pour faire évoluer les représentations de la prise en charge.

Manon Labarchède : L’architecture de la maladie d’Alzheimer avait une image très thérapeutique, comment l’environnement peut limiter les troubles, réduire l’anxiété etc. Avec la question de l’inclusion, l’architecture prend un rôle nouveau, beaucoup plus sociétal et plus ancré dans les représentations. La place et l’utilisation qu’on peut faire de l’architecture, le fait qu’elle puisse aider les malades à s’adapter et à vivre qui doit être complètement repensée. L’architecture est un véritable support pour apprendre à vivre dans ces structures-là.

Dans le village Alzheimer, l’idée était aussi d’alimenter la mémoire des patients, en construisant des maisons pour reproduire leur style de vie, pour qu’ils soient à l’aise avec leur insertion, en utilisant la mémoire sociale. L’architecture est une ressource très pertinente et très importante pour faire évoluer les représentations de la prise en charge

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